lundi 28 mars 2016

Les amateurs au secours de SETI

Le meilleur et le pire…



SETI, c’est l’acronyme en américain qui désigne « La Recherche d’Intelligences Extraterrestres » par le biais des ondes électromagnétiques. En clair, il s’agit de détecter, en provenance du ciel, un éventuel signal généré par une bouée-phare ou une autre source d’émission artificielle située quelque part dans l’espace intersidéral ; là où des créatures étrangères, comme nous douées de curiosité si ce n’est de raison, se manifesteraient par ce signal dans l’espoir d’établir le contact avec leurs éventuels Frères du Cosmos, « nous », en l’occurrence.


En 1992, la NASA avait lancé en fanfare, lors du cinq centième anniversaire de la découverte du Nouveau Monde par C. Colomb, un programme SETI ambitieux qui devait durer 10 ans au moins et nous apporter, enfin, la preuve que « nous ne sommes pas seuls » dans l’Univers.

Mais la politique de restriction budgétaire américaine mit prématurément un terme à ce bel élan en coupant les budgets alloués (réduction du déficit de 0,0006 % !) à ce qu’un Sénateur avait fait proclamer comme le plus beau gaspillage de l’argent public. « SETI, c’est fini ? », pouvais-je écrire, à l’époque (1), en prologue à ce qui fut la « privatisation » de SETI.

Le projet était si avancé qu’il a pu heureusement continuer sur sa lancée, sans subvention fédérale. L’appel aux sponsors, aux généreux donateurs, le soutien, notamment, des grands de l’informatique qui ont permis l’automatisation du système d’analyse des données recueillies, ont permis de maintenir un volant de recherche lequel peut s’enorgueillir d’avoir, en 5 ans, pulvérisé tout ce qui avait été mené depuis les années 1960 en terme de nombre de cibles et de durée d’écoute. Il est vrai qu’on inventorie aujourd’hui en une seconde 100 millions de « bandes »/s, ce qui aurait mis plusieurs millénaires en 1970 !

Un nombre époustouflant de données pour quelques centaines de candidats (il y en avait eu seulement 12 auparavant) au titre de premier contact. Rien encore de sûr parce qu’aucun signal suspect ne s’est répété. Impensable, pensent les savants, que quelqu'un émette une seule fois sans renouveler son appel. Donc toutes ces interceptions uniques ne sont que des glitches, entendez par là des fausses alertes dues à quelque artefact  dans la captation du signal.

Malgré donc un budget de fonctionnement réduit, les données continuent d’affluer en masse et, faute de personnel pour les dépouiller, elles s’accumulent inexploitées.

C’est ainsi qu’en 1997, une singulière requête a été lancée ; par la presse et Internet, il a été offert à tout propriétaire d’ordinateur compatible (PC) de participer bénévolement à SERENDIP, une antenne SETI basée en Californie à Berkeley ! Faites-vous connaître et on vous enverra gratuitement un logiciel de traitement de données ainsi qu’un pack d’enregistrement et, chez vous, enfermé dans votre bureau, vous serez à même de découvrir le message caché de quelque supercivilisation extraterrestre. Et ce, sur la disquette d’enregistrement de signaux gracieusement mise à votre disposition par des professionnels qui préfèrent passer leur temps à autre chose. 50 000 postes individuels ne seront pas de trop ! La carotte du premier découvreur était même brandie d’une manière à mon sens indécente car vaudra-t-elle quelque chose ainsi en différé ? Je doute fort qu’on décerne le Nobel à quelque obscur informaticien de salon qui aura la chance de tomber sur la bonne disquette ! Ou alors, c’est à n’y plus rien comprendre !

En tout cas, il est extrêmement frustrant de penser que le fameux signal a peut-être déjà été enregistré et qu’il est à la merci du bon vouloir et du temps libre des utilisateurs d’ordinateurs domestiques. Si vraiment cet événement majeur que constituera la preuve d’une autre intelligence que la nôtre dans notre galaxie est ainsi traité à la légère, cela devrait inciter nos aimables correspondants cosmiques potentiels à ne pas donner suite à leur appel.

C’est pourquoi, j’ai vu arriver une autre initiative qui, elle, me paraissait beaucoup plus satisfaisante pour l’esprit : c’est celle de la SETI League.

Cette nouvelle association fut fondée en 1994, suite à la décision du Congrès US de ne plus soutenir financièrement la recherche de type SETI. Son originalité est qu’elle prétend ouvrir aux amateurs ce qui était jusque-là réservé aux professionnels. La technique a tellement évolué qu’aujourd’hui, que, pour une somme abordable (quand même encore quelques milliers de dollars), on peut acquérir un matériel d’écoute des micro-ondes électromagnétiques cosmiques aussi performant que celui des pionniers du SETI des années 1960. Plus besoin d’un monumental radiotélescope, une mini-station suffit !

Ainsi est-on en mesure de capter le message tant attendu sans être bardé de diplômes et de doctorats mais seulement armé d’un solide enthousiasme (bizarre comme ces deux qualités sont souvent antinomiques !). C’est ce qu’a compris Paul Shuch, ingénieur en aérospatiale et directeur de la SETI League, qui a lancé le projet Argus en avril 1996.

Le projet dit Argus (du nom du prince d’Argos aux 100 yeux) consiste à mobiliser tous les volontaires du monde entier pour coordonner une recherche SETI dite plein ciel ; chacun de nous peut devenir un setiste en se dotant d’une antenne parabolique type TV, d’un récepteur de micro-ondes et d’un ordinateur individuel équipé d’un logiciel adéquat destiné au filtrage qui fonctionnera sur Windows 95. Le prix de tout cela devrait être bientôt divisé par 10 sous forme de kit.

L’objectif est de disposer en 2001 de 5000 stations d’écoute amateurs (actuellement il y en a 63 aux dernières nouvelles et la ligue compte plus de 500 membres). A chacune d’elle sera dévolue par la League une petite fenêtre du ciel pour qu’il n’y ait pas de redondance et chaque participant s’engagera à se conformer à un protocole bien défini en cas de découverte.

Le projet se prétend international. Le siège de la League est basé à Little Ferry dans le New Jersey, aux Etats Unis. Il y est attaché bien sûr un site Internet (www.setileague.org). On peut y adhérer directement pour la modique somme de 50 dollars. Une antenne de la SETI League existe en France ; Elisabeth Piotelat, en est la coordinatrice. On peut se renseigner sur le site http://www.chez.com/telescope/seti/ (2). Nous ne sommes encore que 5 membres en France ! Rejoignez-nous.

Que la recherche SETI ait beaucoup à gagner de l’engouement des amateurs, de leur exaltation par rapport au regard blasé fait de froideur scientifique que portent les professionnels sur les signaux candidats, par exemple, me paraît personnellement indéniable. Mais la contrepartie existe tout aussi déplorable au point qu’on peut se demander si un enjeu aussi sérieux visant à dire si nous ne sommes les seules créatures pensantes de l’Univers peut être confié à n’importe qui incapable de discerner un signal ET de l’émission d’un satellite espion ou bien pire.

« La réception d’un signal d’origine intelligente extraterrestre changerait radicalement et de façon permanente notre vision de nous-mêmes et de notre place dans l’Univers » (3). Hélas certains ne semblent pas impressionnés (ignorance ou machiavélisme ?) par une question aussi fondamentale et ses possibles répercussions.

Le 22 octobre dernier, un radioamateur, rapportait aux astronomes SETI via Internet avoir capté à 21 h 13, heure de Greenwich, un étrange signal issu de la constellation de Pégase, située à 22 années lumière de la Terre (4). Son annonce n’ayant provoqué aucune réaction jusqu’au 26 octobre, il élargissait alors le champ de ses correspondants (sa mail list, dit-on aujourd’hui) et diffusait des images digitales de sa découverte, un signal distinct du bruit de fond à 1000 pour un. Le récepteur du signal, cette fois, se disait être Paul Dore (ce dernier reconnut plus tard n’être pour rien dans cette affaire), un employé de la Siemens Plessey Systems, qui disait utiliser, depuis 18 mois, une antenne parabolique de 10 mètres de diamètre appartenant à sa compagnie à des fins personnelles de détection de signaux extraterrestres. Il avait inscrit sa découverte sur la liste Internet sensée déclencher des vérifications mais, sans attendre, était allé aussi informer la BBC.

Selon lui, le même signal s’était répété le lendemain, provenant du même endroit (coordonnées de la transmission précisées). La visualisation des images du signal sur le WEB lança un vif débat surtout lorsque Art Bell, le présentateur vedette de l’émission nocturne américaine Côte à Côte, s’empara de l’information et invita à son show Richard Hoagland qui suggéra audacieusement que le signal provenait sûrement d’un vaisseau spatial en route vers la Terre depuis Pégase, dont la vitesse considérable expliquait le glissement Doppler.

Par le découvreur, se prétendant encore Paul Dore puis John Doe, continuait de signaler deux nouvelles émissions, les 26 et 27 octobre. La fréquence était même précisée : 1453,827 mégahertz avec un glissement Doppler de +/- 200 Hertz. Mais la copie des nouveaux signaux diffusés sur Internet montraient une telle similitude, notamment pour le bruit de fond, qu’ils poussaient au scepticisme. Une telle signature quasi identique à un certain intervalle de temps était incompatible avec deux réceptions espacées de plusieurs jours. Le radioamateur s’empêtrait dans des explications peu convaincantes de confusion d’images format gif puis, certainement déçu de voir son stratagème éventé, se disait visité par trois hommes en noir qui l’auraient contraint de signer un engagement à ne rien divulguer (sic). Les tenants de la thèse de la conspiration dressaient l’oreille surtout en ces temps d’Apocalypse.

Heureusement la nouvelle avait enfin atteint les sphères officielles qui trouvaient quelques minutes à lui consacrer.

Un étudiant de l’Université du Montana notait rapidement que « le système EQ Pégase » est un endroit peu probable sinon impossible pour une vie indigène intelligente. Le système de Pégase est une étoile double de la catégorie des naine rouges, de type M4 et M6. Dans ces conditions, une planète comparable à la Terre est certainement exclue compte tenu de la trop grande jeunesse des 2 étoiles.

Un responsable professionnel du projet BETA (SETI officiel) disait n’avoir rien détecté en provenance de Pégase après y avoir braqué l’antenne de l’observatoire de Oak Ridge. Une tromperie, affirmait le Professeur Nathan Cohen, de l’Université de Boston, arguant du fait que le signal n’était pas dans la largeur de bande requise pour un signal SETI dit polychromatique. Et de suggérer que si un signal avait été réellement reçu, c’était sûrement celui d’un satellite terrestre.

La confirmation annoncée de la détection du signal par le Max Plank Institut für Radioastronomie de Bonn, à travers le Effelsberg Radio Observatory ne venait jamais apporter la moindre caution et même occasionnait un cinglant démenti d’implication. La détection d’un nouveau signal le 30 novembre par un radio amateur de l’île de Guernesey ne changeait rien à un épilogue plutôt Lamentable. Méprise ? Canular ?

Il faut reconnaître que la fenêtre radio d’où émanait le signal se révélait être particulièrement propice aux interférences avec les satellites et les sources terrestres. Détecter un signal avec une telle netteté en provenance de Pégase aurait relevé du miracle. A défaut de tromperie délibérée, le signal provenait-il d’un satellite militaire secret, partie du projet 415 ? C’est le moins pire auquel nous osons nous raccrocher. 

Après avoir observé une longue période de silence, la SETI League dénonçait, elle aussi, l’imposture (5). Le Dr Paul Shuch déclarait dans un communiqué officiel: Notre ligue indépendante a analysé la prétendue découverte depuis le 23 octobre. Aucune de nos 63 stations actives autour du monde n’a été capable de le confirmer. Et d’ajouter : La personne qui a fait état de ce signal a violé les principes élémentaires de la science responsable (notamment en gardant l’anonymat, mais il n’était pas « setiste »). Il n’a pas rempli les protocoles de détection de signal soigneusement mis en place par la Ligue et auquel tous nos membres doivent souscrire. C’est revenir 100 ans en arrière ! » Allusion aux signaux captés au début du siècle ?

En tout cas, cette histoire, survenue moins de 3 ans après que les amateurs aient été sollicités pour prêter main-forte aux chercheurs officiels SETI (eux en 30 ans n’ont jamais accusé réception d’un message suspect sauf pour le fameux WOW sur lequel on se pose aujourd’hui – plus de 20 ans après son enregistrement – des questions !), montre à l’évidence combien il faudra être prudent pour accréditer la détection d’un signal. Les protocoles de la SETI League sont là pour ça, n’est-ce pas, mais on ne m’interdira pas de penser (n’en déplaise à toi Elisabeth) qu’il y a un réel danger de décrédibilisation en la matière. Un autre phénomène très important à mon sens a été livré en pâture aux amateurs qui en ont fait l’embrouillamini que l’on constate aujourd’hui : c’est le phénomène ovni. Je ne souhaite pas l’ufologicalisation de SETI n’en déplaise à tous les lecteurs d’UFOMANIA.


Références :
1/ Michel Granger, DIMANCHE S & L, 27 février 1994.
2/ Devenu : http://setiathome.free.fr/moi/apropos.html#contact
3/ Douglas A. Vakoch, SEARCHLITES, Volume 5, number 1, hiver 1999.
4/ UFO ROUNDUP, Volume 3, Number 44, 2 novembre 1998.
5/ FORTEAN TIMES, n° 119, février 1999.





Publié dans UFOMANIA, N°23/24, août 1999.

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