dimanche 5 mars 2017

Extra-terrestres en exil !
Ou les mystères du paranormal humain

Comme je l’ai déjà dit, ce fut M. Gallet, directeur littéraire chez Albin Michel, qui suggéra, au-delà de toutes mes espérances, que les pages non retenues du trop long manuscrit intitulé : « Terriens ou Extra-terrestres ? » puissent servir à un autre livre. Dans une lettre datée du 7 février 1973, il m’écrivait : « Je pense que la partie supprimée pourrait très bien faire l’objet d’un autre ouvrage tel que vous le décrivez. Et je suis tout prêt à en examiner la possibilité de parution dans la même collection ».

Vous pensez que la suggestion n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd…

Aussi, avant même la parution de « Terriens ou Extra-terrestres » qui se fit en septembre 1973, je m’attelai à ce travail qui dura de février 1973 à décembre 1973.

L’année précédente avait été pour moi la période la plus douloureuse et déprimante de ma vie. Rentré du Canada en février 1972, y ayant effectué depuis 1967 ma thèse de doctorat et un stage postdoctoral qui fit office, militairement parlant, de coopération technique, nous débarquâmes à trois (mon épouse, mon fils âgé d’à peine 6 ans et moi) chez mes parents retraités. Je devais me mettre à chercher du travail, n’ayant fait aucune démarche depuis Montréal.

Montréal où j’avais laissé pas mal de moi-même m’étant si facilement fondu dans ce nouveau monde avec mon accent du Morvan qui me faisait passer pour un vieux québecquois. Longtemps, j’avais caressé le projet de nous y installer définitivement, comme plusieurs de mes confrères le firent notamment en devenant professeur de CEGEP, c'est-à-dire de collèges d’enseignement général et professionnel.

Et puis, cela ne se fit pas. Ma femme, Simone, ne se plaisait pas là-bas (plus, peut-être que je l’imaginais) et aspirait à revenir en France où nous avions toute notre famille. Les premiers jours de notre retour, je me souviens de crises de cafard qui me prenaient… Mais était-ce un pressentiment que le ciel allait bientôt me tomber sur la tête ?

Vers la mi-février, Simone, alors âgée de 29 ans à peine, tomba malade… Le 5 mars 1972, elle décédait à l’hôpital Edouard Herriot à Lyon où elle avait été transportée d’urgence pour un traitement de la dernière chance. Il échoua.

Il s’ensuivit pour moi plusieurs mois de désarroi. L’année 1972 s’écoula comme un cauchemar d’autant que le fait d’avoir « travaillé » à Montréal ne me permettait pas de bénéficier de la moindre aide sociale en France : chômage, allocation, aide… Mes seules ressources sur un an furent le remboursement des frais ultimes d’hospitalisation de mon épouse. Nous n’avions pas droit à la sécurité sociale !

Un an de galère marqué par mes visites journalières au cimetière, l’entrée à l’école primaire de mon fils (là où moi-même j’étais allé entre 1948 et 1951), la parution de l’« Alchimie » en mai 1972, l’envie de tout abandonner…, la recherche difficile d’un emploi (seulement deux entrevues dont la seconde fut la bonne !). Vous pensez si la suggestion de M. Gallet fut la bienvenue. Et l’embauche en mars 1973 comme chercheur au centre de recherches cryogéniques de la plus grande société française productrice de gaz liquéfiés où je fis toute ma carrière vint comme une délivrance. Avec déménagement illico de la Bourgogne en région Rhône-Alpes, comme on disait à cette époque.

La révision et l’« étoffage » de ce qui devait devenir « Extra-terrestres en exil » se fit donc à Fontaine, dans l’Isère, en meublé, à travers les documents qui commençaient à me parvenir de partout dans le monde et des stations à la bibliothèque du CEA à Grenoble où je soustrayaient quelques minutes de mes déplacements professionnels pour inventorier la littérature moins orthodoxe que celle de l’oxygène envisagé comme remplaçant avantageux de l’air pour les réactions chimiques (j’avais été embauché pour ça).

Dans ce livre qui devait se voir dans la continuation de « Terriens ou Extra-terrestres », je reprenais l’idée d’une filiation des filles des hommes autochtones (homo à peine sapiens) avec les « fils des dieux », des extra-terrestres en l’occurrence ou plus précisément des créatures manipulées plus ou moins génétiquement par les « dieux » et libérés plus ou moins volontairement dans la nature terrienne et « qui y firent souche ».

Nous aurions tous hérité de ce « croisement interracial » voire interespèce, certaines capacités extraordinaires physiques et psychiques dont celles qui se manifestent dans le paranormal et la médiumnité.

Voilà comment je commençais l’introduction de mon livre :



Si Dieu est devenu homme,
l’homme est devenu Dieu.

Saint Cyrille d’Alexandrie.



Terriens ou extra-terrestres ?
La brève citation mise en exergue en haut de cette page pourrait passer pour anodine. Pourtant, elle n’en infirme pas moins l’opinion largement partagée selon laquelle, l’homme, gravissant laborieusement les échelons de son évolution, tendrait vers un avenir encore incertain où il s’égalerait à Dieu. Incertain, pour ne pas dire problématique si l’on s’en réfère aux dires de Jules Carles (1) qui voit « dans les deux milliards d’années qu’il a fallu pour parcourir le chemin qui va du premier vivant jusqu’à l’homme, plutôt qu’un record de vitesse (...) un record de lenteur ».

La phrase du patriarche d’Alexandrie laisse entendre de préférence que la créature humaine, par le passé, a déjà réalisé sa propre « divinisation » par une voie qu’il reste à préciser. Le thème qui a fait la matière de notre ouvrage précédent fournit une solution à cette ambiguïté qu’il serait facile d’étoffer par d’autres exemples.

Aussi, à l’intention des lecteurs non familiers avec nos idées, il nous paraît opportun, ici tout au début de ce nouveau livre, d’en faire un bref résumé, surtout que ces arguments sont indispensables à la compréhension du texte qui va suivre.

Les mythologies du monde entier se font l’écho des plaisirs charnels auxquels s’adonnèrent sans vergogne une poignée de créatures équivoques en compagnie de terriennes aborigènes. La Bible en particulier, qui fut pendant longtemps le récit mythologique par excellence, et que l’époque moderne ravale à un pastiche mal construit et trompeur, parle de l’union des fils de Dieu avec les filles des hommes. Pour peu que l’on veuille bien abandonner ses préjugés avant de s’en rapporter à ce passage de la Genèse (VI, verset 4), il semble qu’en terminologie moderne ces lignes relatent une « hybridation », c’est-à-dire un croisement entre individus de races ou d’espèces différentes.

Sans conteste, un tel croisement se heurte à un rempart de difficultés lesquelles ont été examinées avec soin, et par le biais des plus récentes découvertes en matière de biologie cellulaire, gynécologie et embryologie, il a été vu que cette interprétation des Saintes Ecritures, bien qu’elle soit quelque peu futuriste, entre même dans une conception assez peu subversive et à tout le moins raisonnable.

Quelle était cette race différente, non originaire de la Terre, dont l’accouplement aux femelles humaines se révéla fécond et donna naissance à des êtres « fameux entre tous » ? Sont-ce quelques-unes de ces créatures innombrables, peuplant les espaces stellaires, supérieures à l’homme dans le même rapport que celui qui le sépare des animaux terrestres, dont le moine italien Giordano Bruno affirma l’existence avant de se voir mené au bûcher pour la peine ? Il paraît inconcevable qu’il en ait été ainsi, même si les probabilités ne s’y opposent point.

Donc, nous avons été amenés à plutôt conjecturer une étape d’acclimatement plus ou moins dirigée afin que l’hybridation désirée soit rendue possible. A cet effet, l’intervention divine dépouillée de son caractère fictif de créature extraterrestre, bien au goût du jour, mais tout de même trop aléatoire, a revêtu l’habit de Principe de finalité mieux dans les normes philosophiques. Est donc né de ce vaste programme un petit groupe d’êtres mi-hommes, mi-dieux, dont la dispersion du patrimoine chromosomique a conféré à la descendance, qui en a découlé, cette « nouvelle nature » telle que l’entend Paul Misraki.

Or, la clé de voûte de notre thèse consiste en la recherche parmi la population contemporaine de résurgences de cette nouvelle nature au sein de l’ancienne. Les lois génétiques y autorisent ou plus exactement nous y obligent. Qu’un gène étranger ou mutant ait fait l’objet d’une transmission sexuelle en quelque point que ce soit de l’histoire de l’humanité, l’espèce actuelle qui en a bénéficié doit immanquablement en subir encore les effets. C’est-à-dire qu’une portion non négligeable de la population d’aujourd’hui peut se prévaloir de garder, dans les formes spiralées de son acide désoxyribonucléique, les traces du passage de l’entité, dont la dernière visite sur la Terre remonte à environ 20 000 ans (2).

L’être humain cessant de cette façon peu catholique d’appartenir à une race pure se verrait encore de nos jours le sujet d’un dualisme tant discuté dont le manichéisme ne serait qu’une des facettes.

Il est remarquable de noter que ce point de vue très personnel s’accorde parfaitement avec certaines vues bibliques lesquelles veulent reconnaître dans les hommes, des « étrangers », des « voyageurs sur la Terre », des exilés en quelque sorte, tant que la route des étoiles nous demeure fermée.

Subdivisant notre première enquête en deux sections, l’une se rapportant aux énigmes physiologiques qui donneraient à penser que certaines qualités non indispensables à notre quintessence terrestre nous ont été inculquées puis oblitérées par le temps, l’autre s’attachant à montrer cet aspect déconcertant de l’être humain en tant que créature pensante, donc impossible a priori comme l’a si bien justement démontré le Recteur de Dijon, Emile Boirac, puisque ressortissant à la seule force « contragissante » de notre planète, il nous a été dérisoirement facile d’apporter les preuves que nous sommes le siège de facultés et d’aptitudes « non naturelles ». Et de remonter la filiation héréditaire des générations passées jusqu’en ce point de convergence biblique où l’homme a abandonné, une fois pour toute, son statut d’animal évolué pour celui de « dieu dégénéré », et cela à cause de la légèreté légendaire de ses filles.

Mais nous avons volontairement omis de parler de ces mystères paranormaux, dont l’occultisme tira parti si longtemps pour instituer son règne de chimères, que la métapsychique tenta de sortir des brumes de la superstition et que dernièrement la parapsychologie a décidé d’authentifier et d’ériger en règles méthodologiques. Ce présent ouvrage sera consacré à une compilation, objective autant que possible des phénomènes humains non reconnus par la science officielle. Ce serait bien le diable qu’il n’en résulte pas quelques bribes de vérité ! Et les énigmes abordées auront un caractère si déconcertant qu’un exercice d’ouverture d’esprit consistera à vouloir en faire la synthèse dans un individu unique que l’on assimilera au portrait reconstitué de l’un des énigmatiques fils de Dieu. Qui sait si cet « agrégat » d’étrangetés humaines n’est pas l’équivalent de ces « supercyborgs » qu’on s’apprête à lancer dans le cosmos et que, peut-être un jour, une civilisation primitive extra-terrestre vénérera en qualité de dieu venu du Ciel ?

Déjà la médecine moderne se dirige vers un temps où les nouveau-nés seront débarrassés à la naissance d’attributs non indispensables à leur vie en ce monde « pasteurisé » du XXIème siècle en gestation. C’est ainsi que le Dr R. V. Tait, dentiste londonien, préconise une réduction systématique du nombre des dents, de 32 à 24 et même à 20, et ceci par une série d’extractions durant l’enfance. De cette manière, les dents restant en nombre bien suffisant pour l’usage que l’on en fait aujourd’hui, pourraient être mieux préservées de la carie. Cet exemple pour faire comprendre que la créature humaine, telle que l’on a bien voulu la voir jusqu’à ces jours, ne pourra pas s’adapter assez vite naturellement aux conditions qui vont prévaloir prochainement. Si l’individu n’agit pas directement sur sa propre évolution, il risque de s’établir, à plus ou moins brève échéance, un déphasage très marqué entre deux natures, dont il n’est pas impossible qu’elles n’aient pas été concertées. Quels caractères prendront le dessus ? Notre côté purement terrestre aura du mal à s’imposer sur une planète profondément marquée par l’empreinte des visiteurs du cosmos qui, eux aussi certainement par anthropomorphisme, ont voulu en faire une copie relativement conforme à leur patrie. Attendent-ils cet instant pour reprendre contact et les U.F.O. ne sont-ils pas que des sondes destinées à voir où l’on en est de notre adaptation aux possibilités nouvelles conférées à notre organisme ?

Contrairement à Bergier et Pauwels, nous sommes certains que le but de la Science n’est pas de prouver qu’il n’y a pas de Bon Dieu. Tout au contraire, elle doit nous permettre de « réeffectuer » une nouvelle jonction avec celui qui nous a fait confiance pour propager un jour ce dogme mystérieux mais réel de la Vie Pensante. Si de prime abord, il peut sembler rationnel de s’en remettre à ce propos d’un initié cathare qui voit dans la « faune » terrestre où toute bonté semble exclue, un argument flagrant de la non-intervention de Dieu dans le système solaire, ce point de vue est trompeur car il n’est pas exclu que l’« éternel héritage des fées » soit complètement dépourvu de la notion de bonté, laquelle n’aurait rien à voir avec la Raison si ce n’est l’illusion d’une règle qui se joue au niveau de l’Univers et non pas à l’échelle du microcosme individuel.

Mais ceci nous écarte de l’objet de notre recherche, à savoir trouver en l’homme la démonstration de sa nature hybride car, à l’opposé de Jacques Monod, il nous plaît de croire que nous ne sommes pas seuls dans l’univers. Encore faut-il ne pas fermer son esprit à tous les indices qui le laissent supposer…

(1) Jules Carles (1902-2000), directeur de recherche honoraire au CNRS, professeur de biologie à l'Institut catholique de Toulouse, auteur du livre : Le premier Homme (1970).
(2) Cette date, optimiste, pourrait être aujourd’hui largement remontée dans le temps pour s’accorder avec la nouvelle chronologie en vigueur de l’accession de l’homme à une certaine intelligence sur cette Terre.

Et je terminais ce livre par cette conclusion romancée en guise de clin d’œil de paléo-fiction.


Conclusion
Portrait robot d’un de ces « Mutants qui s’Unirent aux Terriens il y a 9 000 Ans ».

« Le Mutant dispose d’un pouvoir que l’homme
 ordinaire n’exploite guère : de l’intelligence. »

Louis Pauwels et Jacques Bergier,
Le Matin des Magiciens.


Muta était beau, cela il le savait. Aussi n’avait-il eu aucune peine à satisfaire ses mauvais instincts, une fois échappé d’Eden. Un sourire pervers étirait ses lèvres bien ourlées quand il évoquait ce jour béni. Certes, les menaces du Maître lui restaient en mémoire, mais il le mettait au défi de les concrétiser. Et encore l’eût-il tenté, la belle affaire ! Il savait pertinemment qu’un jour il devrait payer ses dettes. Oh ! pas lui, plutôt ses descendants. Il savait tant de choses sans jamais les avoir apprises. Et il sentait qu’il y avait des trésors de connaissances enfouis dans sa tête. Enfin, il avait goûté à la Liberté, n’était-ce pas là un privilège bien supérieur à la protection divine ? Avoir respiré cet air si vivifiant à ses poumons, avoir erré sans but, sans contraintes, avoir écouté le léger gazouillis d’une eau qui sourd et en avoir savouré le nectar. Non, le jeu en avait valu la chandelle ! Puisse-t-il durer encore longtemps !

Pour s’imposer, tout avait été d’une simplicité dérisoire, quelques actes de violence et son port noble et fort avait fait le reste. Les habitantes de cette contrée verdoyante étaient tombées en pâmoison quand il avait laissé courir sur elles, du haut de sa grande stature, le velours de son regard bleu. Et il n’avait eu qu’à tendre la main pour cueillir ces fruits de la chair. Quant aux hommes, leur stupidité confinait à l’abêtissement ! Comment une poignée de primitifs de cette mouture pouvait avoir hérité d’une planète si enchanteresse ? C’était à n’y rien comprendre ! Et Muta, lui, n’aimait pas se formuler des problèmes dont il n’entrevoyait pas la solution immédiate. Une chose était sûre, il saurait profiter de sa supériorité pour couler des jours heureux. Pensez que ces ignares, aux idées aussi courtes que leur corps, aux cerveaux si vides, faisaient des gorges chaudes quand il leur avait dit qu’il venait du Ciel. En cela Muta arrangeait quelque peu la vérité, car il avait été créé avec la matière première aborigène. Seule l’étincelle qui dansait au fond de ses yeux intelligents venait d’ailleurs. Mais il n’allait pas condescendre à leur expliquer. Leur conception du ciel était si primaire que tout effort de ce côté était voué à un échec certain. Muta avait horreur de l’effort ! Pourvu qu’ils continuent à le choyer, à le vénérer, à le craindre et à garnir sa couche des femelles les plus rebondies de la tribu...

Parfois, Muta détectait quelques bribes de sentiments désagréables dans ces gros crânes hirsutes, pleins de vent. Et cela l’irritait ! Comment des créatures si inférieures pouvaient-elles nourrir à son égard quelque pensée de haine, de jalousie, de rancune ? Ne leur avait-il pas fourni l’occasion de diriger leurs prières vers quelqu’un de valable au lieu d’adorer des chimères de pierre ? Oh, il n’avait aucune velléité de conquête, d’ailleurs à quoi bon, du moment que tout lui était acquis d’emblée. Il avait adopté cette humeur de pacifiste à l’instant même où il avait eu la certitude que ces humanoïdes restaient dans l’ignorance complète de ses pensées et qu’il en était de même entre eux. Alors, il avait eu pitié de ces pauvres êtres si isolés psychiquement. Comme cela devait être dur de vivre ainsi enfermé dans la petite cage de son intellect et de rester insensible à tout le souffle de la nature en pulsation.

Muta fronça les sourcils. Instinctivement, il percevait qu’on fomentait un mauvais coup à son endroit. Plusieurs esprits dirigeaient leurs ondes présentement dans sa direction et enfin il put synchroniser leurs paroles. C’était le chef de la troupe, avant qu’il n’ait paru, qui mijotait des tendances à la reprise du pouvoir par la force brutale. Et Muta se voyait tel qu’ils le souhaitaient : cloué au sol par trois épieux traversant sa vaste poitrine. Pauvres idiots !

Il se concentra brièvement et entendit les cris de terreur qui sortaient de la petite grotte où s’étaient réunis les conspirateurs. Ils en jaillissaient et fuyaient à toutes jambes, certains arborant des bosses dans leurs cheveux, d’autres emportant dans leurs oreilles les sons et les voix qu’il avait fait surgir des murailles de terre. C’était tellement plus simple que de se déplacer pour aller les châtier ! Et puis il ne risquait pas d’attraper une blessure, gênante non pas pour la douleur qu’elle éveillerait et qu’il saurait dompter, mais qui pourrait abréger ses jours en ce monde de paradis. Car il savait que la mort n’est pas inéluctable mais il lui déplaisait souverainement d’envisager une réincarnation, équivalant à de nombreuses années passées dans un corps infantile sans intérêt. Inconsciemment s’imposait à lui la certitude qu’il pourrait vivre ici des siècles de révolution de la planète...

Muta décida brusquement d’aller faire un tour. Son long corps élégant d’athlète bien entraîné se souleva de terre et, bientôt, il frôla la cime des grands chênes. Le vent faisait onduler ses cheveux blonds et bouclés. Comment le Maître avait-il pu croire qu’ils resteraient docilement dans ce camp recouvert où ils devaient se morfondre sans même jouir de toutes les possibilités dont il les avait dotés. D’ailleurs la vie y était intenable ; des conditions d’asepsie strictes y étaient maintenues à telle enseigne qu’on se croyait en serre. Un enfer en quelque sorte ! Il n’était pas concevable d’y celer une pensée et cela occasionnait d’incessantes disputes. Tandis que maintenant dispersés, chacun entretenant sa passion du moment, ils ne songeaient même plus à s’importuner.

Muta déposa son corps en une clairière ensoleillée. Il cueillit quelques baies et s’allongea mollement. Tout à coup, une grosse chose apparut. Muta reçut une bouffée de violence en même temps que des dents acérées s’approchaient de son cou. Le tout s’effectua très vite ; il y eut un galop de bête effrayée. Muta sourit. Rien en ce monde n’avait les moyens naturels de rivaliser avec lui. Le fossé était réellement très profond.

Sans qu’il quittât sa position allongée, une main s’extériorisa au loin, mue par la pensée. Elle choisit avec discernement les fruits les plus mûrs, les apporta près de Muta et se dilua dans l’atmosphère. Tout était d’une déroutante facilité, portant même à l’ennui. Heureusement, il y avait de belles compensations ! Finalement, il s’endormit et, grâce au merveilleux mécanisme du rêve, il fut projeté dans un autre univers impondérable, encore plus doux. Mais ce monde ne serait-il pas le sien demain ? Dans ce cas... Soudain une flamme gigantesque monta jusqu’aux cieux et l’environna de toutes parts. Elle lui léchait les jarrets sans le brûler au sens humain du terme, mais son souffle ardent asséchait sa gorge et noyait son esprit d’une fumée dense et âcre. Et, simultanément, montait une vague incantatoire où se mêlaient des cris et des lamentations. Puis la vision s’estompa graduellement. Muta changea de position. Un silence lourd pesait en son âme. Un sentiment complètement inconnu de lui s’installait dans ses fibres comme un serpent se coule dans une fissure : c’était la peur... la peur de l’exil !

6 janvier 1974