samedi 18 juillet 2020

Charles Fort – Apôtre de l’Impossible.

Par Frederick Clouser
Publié dans FATE, Volume 1 Number 3, automne 1948.
Traduit par Michel GRANGER



Frederick Clouser est né le 25 mars 1909 à New
Bloomfield, Pennsylvanie. Il a servi quatre
années pendant la Seconde Guerre mondiale, dont
les deux dernières sur le territoire européen;
il a été récompensé de l’étoile de bronze pour
service méritoire. Il est employé comme
contrôleur du trafic à la Highway Planning
Division, Département des autoroutes de
Pennsylvanie. Ses principaux pôles d’intérêts
intellectuels sont la psychologie, la
parapsychologie et les diverses expériences
religieuses. Il a formulé l’hypothèse que la cause des taches de
naissance est la projection télépathique de l’état mental de la
mère au foetus ou à l’embryon. Il est membre de « Société
Fortéenne et de l’American Society for Psychical Research.


Les scientifiques l’ont ignoré - car ils ne pouvaient pas répondre à ses questions ! Il est devenu célèbre parce qu’il ne croyait en rien !
La frénésie de l’année dernière à propos des « soucoupes volantes » rappelle le travail d’un génie savant, Charles Fort, l’un des personnages les plus intéressants de son époque - ou, on peut le dire sans exagération, de tous les temps.

Le fonds de commerce de Charles Fort, c’était l’incompréhensible, l’exceptionnel, le paradoxal - des choses qui ne peuvent pas arriver mais qui se produisent. Des rapports sur des événements étranges que l’homme « occupé » est susceptible de reléguer pour une pensée future indéterminée, sinon d’oublier. Fort lui s’en souvenait et y réfléchissait. Une question si étrange que les « soucoupes volantes » avait retenu sa plus grande attention. Il avait débusqué des comptes rendus obscurs, entretenu de nombreuses correspondances, vérifié des dossiers de journaux, de magazines et des revues scientifiques pour trouver des rapports antérieurs sur des phénomènes similaires ou connexes. Et sur chaque explication facile avancée, il avait été méfiant.

C’est sa bizarrerie - ne pas se contenter d’un raisonnement désinvolte ou d’une explication - et un instinct de collectionneur comme celui d’une pie, qui l’ont amené à compiler un ensemble étonnant de preuves d’anomalies - des événements réels inconciliables avec la loi naturelle, incompris. Fantastiques à première vue, ces événements ne peuvent, pour la plupart, être considérés comme autres qu’authentiques compte tenu de l’attestation de leur répétition par plein de témoins très différents dans des lieux très éloignés. En résumé, les rejeter in totalité reviendrait à prendre position sur le fait qu’il existe une folie mondiale pour favoriser les canulars, dans la plupart des cas au grand désarroi des personnes qui les signalent.

Supposer que Fort était un excentrique ou un dilettante, avec un flair pour collecter au hasard des données sur l’extraordinaire, serait grossièrement le mal juger. Il a étudié, analysé, décortiqué, collationné, corrélé, synthétisé. Toujours et tout le temps, il argumentait et avec brio. Quand il apportait la contradiction, c’était toujours avec une pointe d’humour ; quand il exprimait ses propres hypothèses, il se moquait souvent de lui-même, car il se gardait plus ou moins un chemin de sortie, insistant toujours pour qu’on lui permette quelque réserve quand il était très probablement sur la mauvaise voie. Dans l’ensemble, son travail est manifestement
le produit d’une personnalité aux multiples talents. Ses quatre volumes publiés, totalisant plus de mille pages, avec un index combiné de plus de soixante pages, sont un monument au travail, à la pertinence, à l’audace, à la largeur de  la vision et au sens de l’humour équilibré de l’homme.

L’homme lui-même était presque aussi différent dans son apparence et ses habitudes que les choses qu’il écrivait. Grand, beau, plutôt lourd, avec une moustache brune hérissée donnant à son visage un masque un peu nietzschéen, il semblait un anachronisme dans ses vêtements contemporains ; comme si l’indisponibilité d’une tenue convenable l’avait forcé à faire des changements de fortune. Tiffany Thayer a remarqué après sa mort qu’il aurait dû être vêtu de cuir et d’anneaux, que sa résidence aurait dû être un château, que des personnages tels que Faust et Villon auraient dû être ses compagnons. À juste titre, il aurait pu être ajouté qu’il aurait dû avoir un blason - arborant un grand point d’interrogation. 

Quand il était enfant, par nature il classifiait, étudiait et classait chaque chose sur laquelle il pouvait mettre la main.

Alors qu’il était encore jeune, il s’est lancé dans l’écriture de romans. Année après année, histoire après histoire nées de son imagination, cela représentait quelques 3 500 000 mots selon sa propre estimation.

Ecrire des romans, décida-t-il finalement, n’était pas sa vocation. Il abandonna cela et commença une étude sérieuse des arts et des sciences. Celles-ci devinrent son principal intérêt - physique, chimie et astronomie en particulier. Il prit des notes - environ 25 000 ! - les classa dans un agencement de casiers spécialement construits couvrant le mur d’une pièce. Une fois, réfléchissant à la possibilité de leur destruction par le feu, il envisagea à moitié d’utiliser un matériau incombustible pour ses futures prises de notes.

Le cours de ses études scientifiques l’a amené à se demander pourquoi les énergies des hommes sont si absorbées par l’agitation mondaine ordinaire.

« Je suis émerveillé de voir, a-t-il dit, que n’importe qui puisse être satisfait d’être un romancier ou dirigeant du trust de l’acier ou un tailleur ou un gouverneur ou un nettoyeur de rue. »

En sondant en profondeur son sujet, il a développé le plan du travail de vie : il rassemblerait et classerait des notes sur les recherches qui avaient été faites et sur les conclusions qui avaient été tirées par rapport aux phénomènes connus. Puis, à la fin, pour arriver à des généralisations incontournables, il traquerait les accords et les thèses adverses. Le résultat fut 40 000 notes sous 1 300 rubriques !

La chose qui vraiment le stupéfia ce fut les variétés qu’il trouva concernant des événements réels qui, selon les règles des théories de base communément admises, n’auraient pas dû se produire du tout ! Il fut même abasourdi, malgré son habitude pour toutes sortes de phénomènes, habituels et inhabituels, comme le style littéraire de ses premiers écrits semble indiquer. Il est tendu, nerveux, pointu, souvent piquant comme une rapière, il a déjà le style d’un explorateur avec un pied au-dessus du seuil d’un monde jusqu’ici non connu et insoupçonné. Il avait touché quelque chose de vraiment gros et il le savait.

« Donnez-moi, écrit-il, le tronc d’un séquoia. Donnez-moi des pages de falaises de craie blanche pour écrire dessus. Agrandissez-moi des milliers de fois et remplacez mes immodesties impudiques par une mégalomanie titanesque - alors je pourrai écrire suffisamment sur nos sujets. »

Un jour, interrogé sur une description de lui-même, il a répondu: « Je ne suis qu’un écrivain. »

Un écrivain il l’était, sans aucun doute. Mais il était plus que cela. Si nous pensons correctement à la philosophie comme synthèse et aux philosophes comme troupes avancées dans le siège de la vérité, alors, en effet, il était philosophe. Il serait difficile de sous-estimer l’ampleur de sa pensée philosophique.

« De temps en temps, a déclaré un critique en lisant un de ses livres dans Vogue, vous découvrirez une idée colossale et peu après, vous serez envahi par une pointe de l’excitation cosmique de l’auteur, l’ivresse du plus grand sportif sur terre, telle une curiosité et une terreur que Christophe (Colomb) a dû ressentir lorsque ses navires ont laissé l’Espagne sous l’horizon. »

Les noms du cercle qui se sont rassemblés autour de lui se lisent comme un Who’s Who de l’intelligentsia américaine : Theodore Dreiser, Booth Tarkington, Alexander Woollcott, John Cowper Powys, Burton Rascoe, Ben Hecht, J. David Stern pour énumérer certains de ses sponsors originaux.

Dreiser l’a appelé « la figure littéraire la plus fascinante depuis Poe et l’un des esprits et des tempéraments les plus éminents du monde aujourd’hui ». Tarkington, dans son introduction à l’un des livres de Fort, a écrit que « les tremblements de terre les plus fous du monde ne sont que des agitations dans des théières par rapport à ce qui se passe dans les visions évoquées devant nous par M. Charles Fort. » Maynard Shipley a fait remarquer : « Lire Fort, c’est monter sur un comète.

Si le voyageur revient sur terre après le voyage, il trouvera, après que ses premiers étourdissements se seront dissipés, une émotion nouvelle et exaltante qui colorera et corrigera toutes ses futures lectures. » Ceux-ci l’admiraient sans réserve.

L’un des exemples les plus intéressants que l’on peut lire sur la méthode de C. Fort est son traitement du problème de la chute des poissons et des grenouilles en provenance du ciel. La réaction naturelle à ce genre de chose est que cela est impossible, bien que tout le monde soit prêt à se souvenir, au moins vaguement, d’avoir lu des comptes rendus sur le phénomène dans des reportages ou dans des articles de journaux tels « Etrange, n’est-ce pas ? » ou dans la rubrique : « Croyez-le ou non ».

Ripley parle un tel événement survenu dans la ville de Longreach, Queensland, Australie, en mars 1942, citant un correspondant qui avait ramassé des poissons vivants de 4 à 6 centimètres de long. L’explication habituelle, exprimée dans un court paragraphe, est - que les poissons ont été extraits d’un étang ou d’un lac par une trombe ou une tornade et ensuite abandonnés à Longreach, qui se trouvait être sur le chemin de la tempête.

Pour Fort, la question n’est pas aussi simple et facilement résolue. Son approche est unique. Passant en revue tous les faits disponibles ayant une quelconque relation avec le sujet, il évalue chaque fait par rapport aux autres, recherche des similitudes et des divergences, explore le phénomène dans ses ramifications les plus extrêmes.

Comme un chien avec un os, il travaille son sujet. Compte rendu après compte rendu, tirés tantôt de journaux et de magazines, tantôt de revues scientifiques ordinaires, il évalue les faits et pose des questions. Ainsi : De nombreux cas sont rapportés de la chute de grenouilles ; aucun cas de chute de têtards n’est signalé.

Pourquoi ? Un rapport enregistre une chute un certain jour à un certain endroit ; un rapport ultérieur enregistre une chute ultérieure exactement au même endroit. Si les créatures sont transportées par une tempête, comment expliquer la remarquable adresse du tir, une caractéristique difficilement attribuable aux tempêtes ? Si des poissons ou des grenouilles sont aspirés d’un étang ou d’un lac, pourquoi les poissons et les grenouilles ne tombent-ils pas parfois en même temps au même endroit ?

Pourquoi les débris du rivage, la boue et la végétation flottante ne tombent-ils pas avec les créatures ? Pourquoi atterrissent-ils vivants et indemnes, contrairement à tout ce que nous supposons connaître la vitesse accélératrice des corps qui tombent ?

Peut-être, après tout, avons-nous été juste un peu vite dans notre explication du ramassé à un endroit et déposé dans un autre endroit. Peut-être y a-t-il une autre explication à propos des stocks dans la localité à l’origine qui étaient simplement assemblés dans une sorte de convenance de poisson ou de grenouille. Mais il y aaussi le fait embarrassant qu’ils se trouvent parfois sur les toits des maisons, dans de vastes zones métropolitaines comme Londres, dans des endroits désertiques pas particulièrement poissonneux ou fréquentés par les grenouilles.

Fort continue donc, vous bombardant de temps en temps de données presque à la limite de l’épuisement. Il vous guide, il vous pousse dans une impasse, il vous tire à nouveau, il vous invite à suivre une autre direction. Parfois, vous pensez que vous l’avez attrapé : de la masse de matériel sur laquelle il commence son offensive, vous voyez suffisamment d’accord dans les détails factuels pour justifier une généralisation conventionnelle.
Mais voilà qu’ensuite, il présente une quantité égale de matériel démolissant votre généralisation.

Ne concluez pas de ce qui précède qu’il avait vraiment une vision académique des anecdotes. Son intérêt allait du plus insignifiant apparemment jusqu’au plus important. Comme le vrai scientifique qui fait preuve d’une impartialité absolue face aux faits, rien n’était trop petit, rien n’était trop grand pour les cribles et les dimensions de son esprit. Radiesthésie, stigmates, statues qui saignent, l’homme qui ne pouvait être pendu, les déplacements allégués dans le temps, l’apparition soudaine de nuées d’insectes, les bruits étranges dans le ciel et sous la terre, les grosses averses et les crues éclair et les phénomènes qui accompagnement les tremblements de terre et les phénomènes d’accompagnement, le problème de la communication interplanétaire, la nature de la lumière et de la gravitation, les tailles, les mouvements et les distances des corps célestes - tels étaient les sujets avec lesquels il se débattait.

La valeur de son travail réside dans sa qualité catalytique. Elle induit une réflexion - une réflexion globale - et cela doit déboucher sur un progrès. Il a dit, en effet, pour sa recherche :

« Vous l’admettrez, beaucoup de nous ne savons pas ; beaucoup, comme vous, devriez admettre si vous ne le faites pas, que nous pensons que nous savons que nous ne savons pas vraiment. Voici des récits de l’extraordinaire - des choses qui se sont produites en violation directe avec l’hypothèse selon laquelle elles sont impossibles.

Vous constaterez généralement que les rapports émanent de témoins compétents ; souvent, les sources sont vos propres publications spécialisées. Je suis bien conscient que de nombreux événements peuvent être « prouvés » comme impossibles. Mais je n’ai rien à voir avec la question de leur possibilité : je dis que ce sont des faits ! Comment allez-vous, en ne passant sous silence aucun détail, en n’ignorant aucun élément incompatible avec l’hypothèse préconçue, pouvoir en rendre compte ? »

Assez fréquemment, Fort a été qualifié d’ennemi de la science. Il ne l’était aucunement. Au scientisme, il était certainement hostile si nous limitions le terme à une prédilection fixe équivalant à une foi aveugle dans les suppositions, hypothèses, théories et dogmes « scientifiques ». Avec un esprit véritablement scientifique, celui
d’une acceptation temporaire, d’un évitement scrupuleux des diktats, il était en parfait accord.

Pour une personne ordinaire sans inclination scientifique particulière, la connaissance de son travail stimule une conscience discriminante contribuant beaucoup à rendre la vie aventureuse. Cela vous fait remarquer des choses que vous n’aviez pas vues auparavant, et une grande partie de ce que vous avez déjà remarqué apparaîtra sous un jour fascinant et différent.

Par exemple:
Chaque printemps et chaque automne, si l’on garde les oreilles ouvertes et regarde parfois en l’air, on entend les oies sauvages crier et on les voit voler dans le ciel.
D’une manière mystérieuse, elles semblent sentir qu’il y a un endroit éloigné où il y a de la chaleur et de la nourriture, et elles possèdent clairement un sens de l’orientation qui fait totalement défaut à l’homme. C’est la même chose avec de nombreux autres types d’oiseaux. Qu’est-ce qui les pousse à migrer et qu’est-ce qui les guide dans leur parcours ?

Une famille du coin présente un chat à une famille en visite d’une ville située à plus de cent kilomètres de distance. Le chat est mis dans une cage et emmené par la famille visiteuse à son retour. Peu de temps après l’arrivée du chat dans sa nouvelle maison, il disparaît. Plusieurs mois plus tard, il apparaît, endolori, ébouriffé et fatigué, dans sa maison d’origine. Comment a-t-il retrouvé son chemin ? (1)

Assis à un bureau, on regarde à travers la pièce un collègue. Ce dernier se détache de son absorption dans son travail, se retourne et renvoie le regard. Cela arrive très souvent. Est-ce simplement une coïncidence ou existe-t-il un lien de causalité ? Si une force étrange est présente ici, qu’est-ce que c’est ? Le mot  « télépathie » vient immédiatement à l’esprit. Mais qu’est-ce que la télépathie ? Beaucoup de choses s’expliquent à chaud en étant nommées ; ceci, en supposant que la télépathie est impliquée, en est un exemple (2). 


Comment les bâtisseurs des pyramides de l’ancienne Egypte 
savaient-ils le point central de la masse du monde ?

Un journal montre un schéma de la terre avec deux lignes entourant celle-ci, une longitudinale, une latitudinale, tracées à travers la Grande Pyramide d’Egypte. Les indications qui l’accompagnent disent que ces lignes divisent la surface terrestre de la Terre en quatre zones égales. La question est soulevée : les Égyptiens antiques, érigeant cette pyramide des milliers d’années avant que Colomb ne navigue vers le Nouveau Monde et ne soit arrivé sur place, ont-ils fait ça par pure coïncidence, malgré les énormes chances contre celle-ci, ou auraient-ils pu avoir une connaissance des masses terrestres de la terre que l’on ne pense généralement pas attribuables à une civilisation ancienne (3) ?

Il est rapporté, dans un compte-rendu de journal, une série d’incendies mystérieux dans la ferme d’habitation d’un certain William Hackler, près d’Odon, dans l’Indiana. A 8 heures du matin, un incendie se déclare d’un côté de la maison près d’une fenêtre à l’étage. Il n’y a pas de feu dans aucun poêle et la maison n’a pas de câblage électrique. Un peu plus tard, un feu se déclare dans du papier qui avait été placé entre les ressorts et le matelas d’un lit. Puis, successivement, un calendrier sur le mur s’enflamme, une salopette accrochée à une porte se met à flamber, un livre tiré d’un tiroir se met à cramer à l’intérieur même si la couverture reste intacte. . . Jusqu’à minuit, 28 incendies distincts, tous non justifiés, s’étaient déclarés dans cette maison ! (4) Pourquoi ?

Quelqu’un a un rêve fantastique. Il rêve qu’en descendant d’un bus sur la Place du Marché, il voit un coffre au trésor ouvert contenant des pièces sur le trottoir. Se rappelant le rêve le lendemain matin alors qu’il quitte son autobus sur la Place du Marché, il jette un coup d’oeil à l’endroit où il avait vu le coffre au trésor dans son rêve. Il y a un billet d’un dollar ! Coïncidence ? Quelles sont les chances, dans une vie, qu’un événement réel de ce genre se produise si étroitement lié à un rêve précédent ? Si ce n’est pas une coïncidence, c’est quoi ? Des exemples comme ceux-ci pourraient être cités presque à l’infini.

Il y a plus dans le ciel et la terre que nous en avons l’habitude de rêver à partir de nos petits systèmes de connaissance. Nous vivons dans un univers étrange et horrible.

Relever le défi de l’inconnu et du connu incomplet, repousser les frontières du savoir, telle est la vocation de la recherche. L’esprit fortéen nous ferait prendre conscience de notre ignorance et nous inciterait à apporter notre soutien à ceux qui tentent de le dissiper.

En reconnaissance du travail de Fort et afin de maintenir vivante l’idiosyncrasie du tempérament qui le motivait, la Fortean Society a été organisée en 1931, l’année avant sa mort. Poursuivant sans fanfare, elle vise à cultiver une vision large, à encourager la réflexion, à faire de la curiosité une habitude. C’est, selon ses propres mots, « une association internationale de philosophes - c’est-à-dire d’hommes et de femmes qui ne vivraient pas différemment s’il n’y avait pas de lois ; d’hommes et de femmes dont le comportement n’est pas une conséquence de réactions réflexes provoquées par le conditionnement, mais plutôt le résultat d’une certaine cogitation, ou d’une fantaisie mystique qui leur est propre. »

Étant une organisation dont le but est toujours sérieux et souvent profond, elle n’a ni le temps ni l’envie de jouer les rituels et les plaisanteries sociales. Les membres se sont cependant vus arborer un symbole - un grand point d’interrogation. C’est l’insigne de l’esprit vraiment émancipé et éclairé.

FIN

1 / Des expériences avec des pigeons voyageurs récemment menées par le professeur H. L. Yeagley du Pennsylvania State College indiquent que « l’instinct du homing » (retour à la maison) des animaux peut être dû à leur sensibilité à la force de Coriolis (un effet du spin terrestre) et au magnétisme terrestre. La façon dont ils sont capables de détecter différents degrés d’intensité de ces forces n’est pas encore connue.
2 / Faire en sorte que la personne que l’on regarde se retourne et nous renvoie son regard est pour la plupart des gens considéré non seulement comme possible mais banal. Le très hon. A. J. Balfour, M. P., F. R. S., dans son discours présidentiel devant la (British) Society for Psychical Research, rapporté dans Proceedings, S. P. R. » vol. X, pp. 9, 10, a déclaré: « J’ai constamment rencontré des gens qui vous disent que, sans qu’ils en soient conscients apparemment, et cela étant beaucoup plus étrange qu’une observation sur le temps qu’il va faire, que par l’exercice de leur volonté, ils peuvent inciter n’importe proche d’eux à se retourner et à les regarder. »
3 / Mystère de la grande pyramide (Egypte): Extrait de la chronique « Strange As it Seems » de John Hix, Harrisburg Telegraph, 5 mai 1937.
4 / Exemple d’incendies mystérieux dans une maison de ferme. Publicité officielle dans « Collier’s », 19 avril 1941, de la Travelers Insurance Co., Hartford, Colin.

Ce texte a été publié dans la revue FATE, Volume 1 Number 3, automne 1948, pages 36 à 44.

samedi 18 avril 2020

LES MUTILATIONS DES BOVINS ET LES COUPABLES PRESUMES : UNE PERSPECTIVE PSYCHOLOGIQUE


VALDEZ et Peter JORDAN.


Peter A. Jordan (MUFON 1983 UFO SYMPOSIUM PROCEEDINGS UFOs : A Scientific Challenge, les 1,2 et 3 juillet 1983).

ABSTRACT 
À partir de la fin des années 60 et jusque dans les années 70, les rapports de mutilations de bovins aux États-Unis ont atteint des proportions épidémiques. La spéculation sur le sujet, allant du super-prosaïque (prédateurs) au super-exotique (extraterrestres), a atteint une intensité inquiétante, les théories de plusieurs chercheurs semblant, à certains moments, étrangement extravagantes et obsessionnelles. Dans cette présentation, une tentative est faite pour relier les découvertes de la théorie cognitive et sociale au problème des mutilations. Il est suggéré que la perception commune des décès de bovins comme anormale est, dans une large mesure, une fonction des cognitions, des contributions mentales apportées à un niveau inconscient dans la lutte pour comprendre l’événement de stimulation.


INTRODUCTION
Aux fins de cette présentation, il serait, je pense, utile de noter brièvement les affirmations centrales entourant le phénomène de mutilation. Il s’agirait notamment des éléments suivants :
1) l’observation selon laquelle, depuis environ 1967, plus de 10 000 animaux (principalement des vaches) sont morts de façon bizarre et «contre nature» aux États-Unis (principalement dans les régions à l’ouest du Mississippi) ainsi que dans divers certaines parties du Canada, de l’Europe et de l’Amérique du Sud ;
2) des rapports selon lesquels les animaux présentent généralement des blessures qui semblent être de nature « chirurgicale », avec une ablation des organes sensoriels, tels que la langue et les yeux, ainsi que les organes sexuels et le rectum, sont souvent produits ;
3) l’affirmation selon laquelle de grandes quantités de sang et / ou de cerveau et de liquide céphalo-rachidien semblent avoir été drainées de la carcasse ;
4) l’observation que des preuves physiques, telles que des traces de pneus ou des empreintes de pas, près de la carcasse, sont souvent mystérieusement absentes ;
5) la perception d’un lien possible entre les événements de mutilation et l’apparition occasionnelle soit d’hélicoptères volant à basse altitude (référence 1), de boules de lumière silencieuses et luminescentes, soit de gros objets en forme de cigare, à proximité de sites de découverte et  près du moment des mutilations ;
6) l’observation que les prédateurs et les charognards locaux évitent constamment les carcasses mutilées ;
7) l’affirmation selon laquelle les carcasses sont souvent retrouvées avec de longues « ecchymoses » autour de leur poitrine comme si, selon les mots des policiers, les corps avaient été « transportés ou soulevés avec des sangles » ;
8) les allégations de mesures inhabituelles de radioactivité à proximité de carcasses mutilées ;
9) les allégations d’échec répété par des chiens de garde (beaucoup sont considérés comme vicieux et bien à portée de voix des sites de mutilation) de venir sur les lieux pendant la période de l’événement ;
et 10) l’observation que les carcasses de mutilation souffrent de taux de détérioration anormaux (soit excessivement lents soit excessivement rapides).

Par déférence pour ceux qui peuvent facilement être embarrassés, je m’abstiendrai de consacrer un temps précieux à rendre un autre compte rendu de la tristement célèbre affaire Snippy, sauf pour dire que cet incident particulier, aussi isolé soit-il, semble avoir cristallisé une grande partie du climat social dans lequel la plupart des cas ultérieurs avaient incubés. (Référence 2). Psychologiquement, je pense qu’il est juste de dire que l’incident de Snippy a servi de prototype du phénomène et a établi les conditions - certainement dans cette partie du sud-ouest - pour son évolution historique.

Ce qui ne doit pas être oublié est, bien sûr, que, malgré toutes les déclarations scientifiques contraires, le propriétaire de Snippy, ainsi que les résidents locaux, ont persisté dans leur croyance que l’animal était devenu la proie de « forces surnaturelles », citant un grand nombre d’« OVNIS » repérés dans la région juste avant la mort du cheval. Les chercheurs qui ont examiné la question ont observé dans quelle mesure les éleveurs voisins étaient en fait résistants aux explications conventionnelles, préférant à la prédation naturelle, canulars, etc., les quelques cas où les chercheurs « n’en savaient en quelque sorte plus que ce qu’ils disaient ». Curieusement, cette attitude paranoïaque envers le phénomène est, j’ai remarqué, devenue plutôt à la mode ; en effet, on est justifié de considérer ce domaine de la recherche dans un certain sens, comme « maudit ». Qu’un tel fort affect puisse influencer le processus d’organisation mentale, je ne pense pas que quiconque puisse le contester, mais, franchement, ce n’est qu’après avoir été personnellement « infecté » que la puissance de ce principe s’est manifesté à moi. Quand on devient aussi intime avec la dynamique de groupe de la recherche sur les mutilations comme je l’ai fait, il ne semble plus étonnant que l’on ne puisse pas rester longtemps à l’abri des pressions subtiles du conformisme.

Dulce, Nouveau Mexique : une étude de terrain
Les premiers signes de ma propre infection psychologique se sont manifestés en juin 1979. Un article, publié dans un magazine UFO populaire, devint ma première exposition au sujet et décrivait, en termes assez sobres, la mort assez mystérieuse et inexpliquée de bovins à Dulce, une petite ville coincée dans l’extrême nord-ouest du Nouveau-Mexique. Intrigué, j’ai contacté un officier de la police d’État de cette ville pour en savoir plus sur les circonstances entourant les diverses anomalies mentionnées dans l’article. Tout ce qui est contenu dans l’article a été confirmé. On m’a dit, en fait, que l’article n’avait raconté qu’une partie de l’histoire et que ce que j’avais lu n’était que la «pointe de l’iceberg».
Ce n’est qu’en août 1980, cependant, que j’ai eu l’occasion de visiter Dulce et de recueillir des données de première main sur les activités de mutilation récurrentes qui y sont signalées. Science Digest a aidé à financer la recherche, qui, je l’espérais, constituerait la base d’un article de fond pour le magazine. (Mais il s’est avéré que l’article n’a jamais été imprimé, Science Digest ayant trouvé le sujet - comme tant d’autres publications - inconfortablement ambigu).
Une grande partie de mon temps au Nouveau-Mexique a été passée en compagnie de la police de l’État du Nouveau-Mexique, qui m’a gentiment escorté dans les coins de la ville où divers phénomènes aériens avaient été observés, y compris les hélicoptères presque complètement silencieux qui semblent jouer un tel rôle omniprésent dans l’histoire des mutilations. J’ai également eu l’occasion de passer plusieurs heures avec Manuel Gomez et son fils Edmund. Selon la police, la famille Gomez avait subi des mutilations presque incessantes, ayant perdu six de ses vaches depuis 1976. Au cours de mon enquête prolongée sur les allégations de Gomez, j’ai rapidement pris conscience du fait que les mutilations présumées semblaient faire partie d’un constellation d’anomalies, allant de « menaces » téléphoniques anonymes et très sinistres à l’observation d’une « pierre tombale rougeoyante » située sur la propriété. De janvier à juin 1979, m’a-t-on dit également, le mystère s’est obscurci lorsque 20 têtes de génisses de 2 et 3 ans ont soudainement développé un « effet de tremblante » particulier, comme on pourrait le constater avec une condition connue sous le nom de « titubation aveugle » [vache folle ?] (bien que Gomez soit certain qu’il n’y avait pas de locoweed dans son pâturage à cette époque). Aucun de ces animaux, d’après ce que j’ai appris, n’avait survécu à l’attaque, qui, selon Gomez et la police, les avait complètement déconcertés. Manuel Gomez a également rappelé un autre événement quelque peu étrange. En 1976, la nuit même de la première mutilation, le chiot Doberman de 9 mois de Gomez a disparu et n’a jamais été retrouvé. Gomez m’a dit qu’il avait été suggéré que l’animal avait peut-être été tué par des coyotes, bien qu’il ne trouve pas cela une explication acceptable.

Grâce à mes entretiens avec d’autres personnes qui avaient directement ou indirectement participé à la recherche sur les cas Gomez, j’ai rencontré un éventail éblouissant d’affirmations supplémentaires. J’ai appris qu’il y avait eu des mesures de radiations inhabituelles observées près des carcasses, que le foie de vaches aurait pu être exposés à des radiations micro-ondes, que des échantillons de poils prélevés dans le troupeau de Gomez devenaient phosphorescents lorsqu’ils étaient placés sous la lumière ultraviolette, que des paillettes furent trouvées dispersées dans le ranch Gomez, qu’il y avait une utilisation de la « chirurgie au laser » dans l’ablation des organes reproducteurs des vaches, que des enquêteurs étaient sous écoute électronique, qu’il y avait des prédictions de mutilations humaines dans la région, que la présence de certains « médicaments » avaient été détectés dans la circulation sanguine des carcasses mutilées, que des « interférences » radio existaient avec les OVNIS (constatées près du ranch Gomez par la police), et que d’étranges « marques » sur le sol avaient été trouvées près de certains des animaux morts.

Je dois avouer qu’à l’époque où j’ai été instruit de ces étonnantes affirmations, pas le moindre soupçon de leur validité ne s’est glissé dans ma pensée. De tout ce qu’on m’avait dit, en fait, il ne semblait guère y avoir de raison de ne pas croire que toutes les interprétations faites à propos du phénomène étaient saines. Après tout, qui étais-je? Un éleveur expérimenté? Un policier aguerri? Pour quels motifs pouvais-je présumer remettre en question les perceptions de ces personnes? Je n’avais ni l’envie ni « l’expertise » pour douter. En vérité - même si je n’avais pas la capacité de m’en rendre compte à ce moment-là - l’infection avait pris une emprise pernicieuse sur moi et elle ne lâchait pas.

Échapper à l’incertitude
Après être rentré chez moi suite à mon voyage au Nouveau-Mexique, je me suis lancé dans un projet qui, je l’espérais, pourrait m’aider à avoir un accès plus direct aux agents responsables de ce qui se cachaient derrière le phénomène des mutilations. À cette fin, j’ai enrôlé l’aide de quatre médiums avec qui j’avais beaucoup travaillé dans mes recherches en parapsychologie - qui, je dois le souligner, avaient à juste titre mérité mon respect. Peu de documents d’information ont été fournis, et chaque médium a été invité à « psychométriser » plusieurs dizaines de photographies (diapositives) concernant le phénomène de Gomez. Les résultats de cette petite expérience ont été publiés dans une monographie intitulée « Glimpses Through A Looking Glass » et, bien qu’ils ne soient pas acceptables comme preuve de quoi que ce soit, ils étaient, je dois dire, intrigants. Pris ensemble, les informations ont démontré ce qui était une uniformité d’opinion la plus remarquable, suggérant que les mutilations de Gomez provenaient d’une opération massive et secrète parrainée par des organismes paramilitaires ou gouvernementaux. (Référence 3) Indépendamment de la façon dont cette vue était palpable, rejeter le consensus comme une coïncidence était quelque chose contre quoi j’ai lutté avec tout mon pouvoir pour résister. Et, comme la découverte de corrélations entre les données de recherche disponibles sur le sujet et les lectures individuelles a été faite, j’ai vu les marques claires d’une conspiration pratiquement partout où je regardais. Mes médiums semblaient marquer des « succès » destinés à confirmer cette sombre suspicion. Qu’est-ce que c’était que ces choses que je trouvais si scandaleusement convaincantes? Quelques exemples, peut-être, peuvent être nécessaires avant de comprendre la «sensibilité» de l’attitude que je suis venu à épouser :

1) Le psychique Ron Mangravite mentionne, dans sa « lecture », l’injection d’un citrate. L’officier de police de l’État du Nouveau-Mexique, Gabe Valdez, a vérifié que l’acide citrique (un agent tranquillisant) avait été découvert dans le corps d’un des taureaux mutilés de Gomez.
2) R. M. décrit son image de l’animal « soulevé ». Comme mentionné précédemment, des ecchymoses, prétendument faites par des sangles ou des cordes, sont fréquemment notées autour de la zone de la poitrine des animaux mutilés; les vaches Gomez, selon Valdez, ne font pas exception.
3) La psychique Elisabeth Lerner implique la Compagnie Hobart dans les mutilations. La recherche indique que Hobart fabrique des trancheuses à viande industrielles vendues principalement aux supermarchés et aux bouchers.
4) E. L. prétend que les bovins mutilés sont marqués à l’avance à des « fins expérimentales ». Le spécialiste de l’électronique à la retraite de Sandia Labs, Howard Burgess, a découvert des « taches » lumineuses et fluorescentes le long de l’arrière des jeunes génisses du troupeau de Gomez, qui n’apparaissaient que lorsqu’elles étaient éclairées par une lumière ultraviolette et contenaient un pourcentage inhabituel de potassium et de magnésium.
Comme vous pouvez le voir, la situation était devenue plutôt effrayante.

Pour un sceptique, un tel résultat expérimental est susceptible de créer un certain inconfort; pour moi, cela semblait pire que ça. Cependant, j’ai envisagé la possibilité d’une erreur d’échantillonnage et j’ai commencé à rechercher d’autres éléments sensibles et à voir si les résultats seraient sensiblement différents. Ils ne l’ont pas été. En fait, le contenu de la deuxième série de lectures ressemblait à celui des originaux non seulement sur le plan thématique et conceptuel, mais, dans une certaine mesure, littéralement! Les noms d’individus particuliers, certains bien connus du domaine public, d’autres non, sont devenus récurrents. On observerait ce même type de répétition à l’égard de certaines firmes pharmaceutiques, comme Eli Lilly et Hoffman La Roche. Si vous m’aviez rencontré pendant cette période, vous auriez trouvé le sentiment d’excitation que j’ai ressenti pendant tout cela assez déconcertant. C’était analogue à avoir pris un Rubic’s Cube, tordu ses pièces environ quelques dizaines de fois et avoir été choqué de constater que le puzzle avait été résolu. Un tel sentiment d’accomplissement a cependant une façon très particulière de déformer la perspective générale de la réalité. Le danger est que l’on commence à contribuer davantage au phénomène que ce que le phénomène a à offrir.

Illusions cognitives
Il peut vous paraître à ce stade que j’étais prêt à admettre qu’il n’y avait même pas un soupçon de mystère entourant toute l’affaire des mutilations. Ce n’est pas le cas. Cependant, je suis enclin à considérer le vaste pourcentage des allégations de mutilation comme largement faux, avec seulement un sous-ensemble provisoire digne d’un intérêt sérieux. Les mutilations Dulce, dont j’ai parlé, semblent mériter un tel statut préférentiel. Certains événements canadiens peuvent également entrer dans cette catégorie, bien que la rareté des données mises à disposition par les chercheurs canadiens ne nous donne guère confiance en la matière.
Il ne faut cependant pas interpréter ces remarques comme signifiant que je souhaite plaider en faveur d’une sorte de tolérance insensée pour décider si un mystère de profonde dimension scientifique est posé par l’une ou la totalité des mutilations potentiellement authentiques documentées jusqu’à présent. Aussi décevant que cela puisse paraître - du moins du point de vue des sciences naturelles - l’étude des mutilations du bétail ne vaut même pas un bâillement. Le fait est que, une fois débarrassé de ses fondements psychologiques lourds, le mystère tout entier perd son attrait, devenant impuissant et ennuyeux.

Mais comment, devons-nous nous demander, une mascarade aussi colorée aurait-elle pu être conçue? À quoi pourrions-nous attribuer l’efficacité de cette magnifique illusion?
Bien que je ne prétende pas avoir autre chose qu’une compréhension imparfaite de ce que les forces de motivation ont pu inciter les éleveurs, les policiers, les vétérinaires et les chercheurs indépendants à perpétuer un si grand nombre de fausses allégations, je pense qu’il est possible de découvrir ces propriétés mentales particulières auxquelles ces réclamations peuvent en grande partie devoir leur existence.

Ce sont vraiment les psychologues de la Gestalt qui ont observé pour la première fois que la perception humaine, à son niveau le plus fondamental, est fonction de lois d’organisation distinctes. L’une de ces lois est celle de la simplicité, selon laquelle un modèle de stimulus est vu de telle manière que la structure résultante est aussi simple que possible. Un triangle chevauchant un rectangle, par exemple, est généralement perçu comme tel et non comme une figure compliquée à onze côtés. La perception de choses similaires étant groupées ensemble est encore un autre principe de la Gestalt, tout comme celle de trouver des choses proches les unes des autres apparaissant comme si elles étaient groupées ensemble. Dans mon étude des données de mutilation, j’ai trouvé ces principes qui s’expriment maintes et maintes fois. Comme beaucoup d’entre nous le savent, par exemple, il existe une grande variabilité entre les cas en ce qui concerne les organes manquants. Pourtant, de nombreux soi-disant « experts » affirment fréquemment que ce n’est pas le cas et que les organes cibles sont souvent les mêmes. D’un point de vue « économique », la perception des experts a un sens cognitif et elle devient donc dominante. De même, un éleveur souffrant de la mort d’un bovin sur ses terres, et à proximité d’un autre ranch sur lequel une mort similaire s’est produite (qu’elle soit d’origine humaine ou non), percevra sans aucun doute ces deux événements indépendants comme faisant partie d’un concept plus large de regroupement. Cette tendance découle de la notion de Gestalt selon laquelle des choses similaires seront perçues comme appartenant à la même chose; trouver les événements spatialement contigus amplifie encore l’effet.

Nous ne devons en aucun cas considérer cela comme une justification de la faute de ceux qui ont signalé (et fait un rapport sur) les mutilations. Ces schémas de traitement mental sont, je vous l’assure, partagés par l’humanité en général et ne doivent pas être confondus avec des formes conscientes de tromperie humaine. L’ignorance de ces principes, cependant, peut certainement conduire aux formes les plus graves de tromperie de soi, comme le montrera une étude de la crédulité humaine à travers l’histoire.

Afin de comprendre la pertinence de la psychologie de la Gestalt pour le phénomène de mutilation, il est nécessaire d’apprendre à apprécier la mesure dans laquelle le système perceptuel se défend contre ce qui est communément appelé « surcharge cognitive ». Je ne prendrai pas la peine de vous faire parcourir la littérature expérimentale sur cette question, mais je vous dirai qu’il existe des preuves accablantes pour une sorte d’« attention sélective » à ces détails de l’expérience que nous considérons comme les plus saillants. Les dangers de ce processus sont, bien entendu, tout à fait évidents, bien que la fonction adaptative de ce filtre sélectif pour garder « les deux rames dans l’eau », pour ainsi dire, est quelque chose que nous devons toujours garder à l’esprit. En raison des limites alors imposées à nous par notre propre évolution biologique de la conscience perceptive, les généralisations de stimulus sont inévitables, car on cherchera le moyen le plus pratique de trier les données entrantes de l’environnement externe. Les stéréotypes - dont les mutilations dites « classiques » (c’est-à-dire induites par l’homme) peuvent être un exemple - deviennent ainsi des catégories de tri des événements en fonction de leur appartenance à des groupes particuliers et ont donc une utilité fonctionnelle pour simplifier et organiser des informations complexes. Que les stéréotypes sont notoirement inexacts, je suis certain que tout le monde ici dans ce public serait d’accord. Mais, comme nous le savons également, cette connaissance n’entrave nullement leur utilisation.

En étendant cet argument un peu plus loin, nous ne devrions donc pas être surpris d’apprendre que la compréhension d’un événement (anormal ou autre) est synonyme d’intégrer les caractéristiques de cet événement dans un « schéma » stéréotypé, un processus constructif qui, de toutes les indications, se produit au moment de l’encodage. (Référence 4) En 1973, deux psychologues, J.D. Bransford et M.K. Johnson, a mené une étude dans laquelle un groupe de sujets a été invité à lire une histoire intitulée « Regardez une marche pour la paix depuis le quarantième étage », qui décrivait une vue d’en haut, par en-dessus, de loin. Cependant, cette phrase plutôt étrange était insérée dans l’histoire: « L’atterrissage a été doux et, heureusement, l’atmosphère était telle qu’aucune combinaison spéciale ne devait être portée. » Peu de sujets ont rapporté cette phrase lorsqu’on leur a demandé de se souvenir autant de l’histoire que possible. D’un autre côté, lorsque la même histoire a été donnée à un autre groupe de sujets, mais cette fois avec un nouveau titre, « Un voyage dans l’espace vers une planète habitée », plus de la moitié ont pu se rappeler une idée de la phrase clé. Le fait que le matériel critique ait été rappelé dépendait donc de son adéquation à un titre donné. Le titre, on peut raisonnablement le déduire, a incité les sujets à activer un schéma de connaissances donné; si la phrase ne correspondait pas au schéma, il était difficile de l’encoder.

Le soutien de ces résultats expérimentaux est facilement obtenu en ce qui concerne la structuration sémantique des théories de la mutilation. Ceux pour qui la théorie extraterrestre est la plus appropriée, par exemple, sont ceux qui, à ce que j’ai toujours constaté comme une tendance à assimiler les données sur les mutilations à cette catégorie particulière de compréhension, trahissent cependant de graves omissions dans leur récit des événements historiques. En examinant la littérature sur le sujet des mutilations, par exemple, la présence présumée de médicaments tranquillisants dans la circulation sanguine de certaines carcasses mutilées est rarement reconnue, en particulier si l’auteur est résolument en faveur de la vision extraterrestre. Cependant, aucune de ces omissions n’est mise en évidence par les interprétations fournies par les partisans des théories cultistes ou du complot, bien que les individus, appartenant à ces deux dernières catégories, se révèlent non moins vulnérables aux distorsions cognitives, choisissant d’ignorer d’autres aspects du phénomène qui sont manifestement « incongruents » avec la structure de leur propre système de croyances.

Outre l’omission, cependant, d’autres types d’erreurs accommodantes peuvent être trouvés dans les théories de la mutilation, les plus courantes et souvent les plus frappantes étant celles attribuables au processus de rationalisation. Les chercheurs en mutilation ayant un parti pris pour l’hypothèse extraterrestre, par exemple, insistent souvent sur le fait que de nombreux hélicoptères aperçus près des sites de mutilation sont, en fait, des « OVNI exotiques déguisés ». Les amateurs de complot, d’autre part, trouvent cela absurde et souscrivent à une notion bien différente. Pour eux, les hélicoptères sont des engins militaires ultramodernes « déguisés » en ovnis extraterrestres. Dans les deux cas, une représentation prototypique du phénomène ou du schéma guide dynamiquement les interprétations individuelles vers l’auto-cohérence et la compréhensibilité.

La persistance de la croyance
Si, en effet, le phénomène de mutilation peut être expliqué par référence aux concepts et idées psychologiques que je vous ai demandé de considérer, pourquoi, nous devons nous demander, suis-je le seul à penser qu’il en est ainsi ? Pourquoi tant de gens persistent-ils à croire que quelque chose de diabolique se passe, sur la base de ce qui s’est avéré être des informations incroyablement peu fiables ? Je n’en suis pas sûr, mais je soupçonne que cela a beaucoup à voir avec l’engagement. Dans les années 1950, vous vous souvenez peut-être, Leon Festinger et Stanley Shactner, deux psychologues sociaux, ont mené leur célèbre étude de Marion Keech, une femme au foyer de banlieue qui prétendait avoir pris contact avec des êtres extraterrestres de la planète « Clarion » prédisant qu’une terrible inondation va engloutir la Californie à une certaine date future. (Référence 5) Keech a également affirmé que ceux qui acceptaient la vérité de la prophétie et se rassembleraient chez elle cette nuit fatidique seraient escortés en toute sécurité au large de la planète dans une soucoupe volante. Un certain nombre de personnes sont finalement arrivés à la maison cette nuit-là et ont attendu patiemment l’arrivée des extraterrestres. Ils ne sont jamais venus. Mais, pendant le séjour du groupe, Mme Keech a annoncé qu’elle avait reçu un autre message. Les extraterrestres semblaient avoir été tellement impressionnés par la force de la conviction du groupe qu’ils avaient décidé de sauver la Californie des inondations. Cette nouvelle a été accueillie avec une énorme joie. Ce que Festinger et Shactner ont trouvé si incroyable, cependant, c’est que les membres de ce groupe sont devenus plus attachés à leur croyance dans les extraterrestres et ont par la suite cherché les médias et activement fait du prosélytisme. Sur la base de ces observations, ils décrivent cinq conditions dans lesquelles ils s’attendent à trouver un engagement accru résultant de preuves non confirmatives :

1. La croyance doit être maintenue avec une profonde conviction et doit avoir une certaine influence sur le comportement du croyant (la rendant ainsi observable en partie).
2. La personne doit avoir, en raison de sa croyance, pris une mesure presque irrévocable (par exemple, un engagement public).
3. La croyance doit être telle que les événements réels peuvent clairement réfuter la croyance.
4. Les événements « déconfirmants » doivent être reconnus par le croyant.
5. Le croyant individuel doit avoir un soutien social après la « déconfirmation ».

Festinger et al, ont suggéré que, sans soutien social, peu de personnes soutiendraient une croyance face à de solides preuves de déconfirmation. De même, les éleveurs et les fonctionnaires de police des communautés rurales très unies, soumis aux efforts de démystification des enquêteurs et des chercheurs indépendants, jugeraient nécessaire de se regrouper afin de lutter contre ce qu’ils pourraient percevoir comme une conspiration officielle. Ce n’est que de cette manière que la croyance non confirmée pourra être maintenue.

Dans un rapport de 297 pages publié en juin 1980 par l’ancien agent du FBI Kenneth Rommel, on constate que, sur 90 mutilations signalées au New Mexique comme « classiques » entre février 1975 et mai 1979, 77% étaient explicables sur la base des « preuves disponibles ». Vingt-cinq autres cas (enquêtés personnellement par Rommel et son équipe spéciale) ont également été examinés : les animaux, a conclu Rommel, sont tous morts de « causes naturelles ». (Référence 6) En lisant le rapport de Rommel, on est tout simplement étonné de constater de telles disparités flagrantes entre les observations physiologiques des éleveurs et celles des vétérinaires.

Les rapports d’autopsie officiels des universités et des cliniques, qui ont soumis des tissus d’animaux prétendument mutilés dans les États du Colorado, du Texas, de la Louisiane, du Montana, de l’Oklahoma, du Kansas et du Nouveau-Mexique à analyse, indiquent sans ambiguïté que des animaux tels que les coyotes et les blaireaux sont les coupables - l’étirement des tissus animaux produits par la production de gaz post-mortem et l’autolyse donnant souvent aux bords dentelés d’une morsure « l’apparence de coupures au couteau ». Pourtant, les éleveurs se moquent de ces découvertes et insistent sur le fait que les incisions « chirurgicales » présentes pour les cas dits « classiques » ne peuvent en aucun cas être confondues avec le découpage de chair familier normalement effectué par les prédateurs et les charognards.
Comme je l’ai dit plus tôt, j’ai également trouvé inconcevable que des éleveurs expérimentés commettent des erreurs aussi ridicules, jusqu’à ce que je commence à regarder la situation un peu plus objectivement. Ce que j’ai vite découvert, c’est que les éleveurs et les policiers, à un certain moment, ne percevaient plus les événements, mais plutôt leur perception de ces événements. La structure des croyances était devenue tellement abstraite qu’elle avait perdu sa connexion avec le monde et, en fait, était devenue auto-alimentatrice. Essentiellement, en tant que groupe, les éleveurs et les fonctionnaires de police ajustaient leurs perceptions afin de se mettre en conformité. Aussi bizarre que cela puisse être, je n’ai pu trouver aucune autre solution plausible.

Conclusion
Dans un certain sens, je regrette que les choses se soient passées comme elles l’ont fait. Au début, en tant que personne qui débordait d’étonnement aux yeux écarquillés, j’étais sûr que j’étais sur quelque chose qui était vraiment mystifiant et important. Je me souviens d’avoir partagé ces pensées avec Jacques Vallée qui, lui aussi, semblait ressentir quelque chose de tout à fait phénoménal. Son livre, « Messengers of Deception », était considéré - en contraste frappant avec beaucoup d’autres – comme l’une des plus importantes contributions jamais apportées à la compréhension psychologique de certaines caractéristiques du problème OVNI. À bien des égards, je le crois toujours.

Récemment, je discutais de mes recherches sur les mutilations avec une personne qui était curieuse de ses implications pour la recherche sur les ovnis en général. Il m’a dit que comme quelqu’un qui avait lui-même enquêté sur des cas d’OVNIS, il était intéressé par les « données » et rien d’autre. Les théories, a-t-il dit, ne lui étaient d’aucune utilité, il y avait trop d’informations nécessaires avant qu’une théorie quelconque puisse être envisagée. Je lui ai demandé ce qu’il entendait par « données » et il en a énuméré une demi-douzaine ou plus qui, selon lui, convenaient à cette fin. Il a mentionné les mesures de radiations, les traces au sol, les effets physiologiques, les perturbations électromagnétiques, toutes ces choses qu’il considérait comme « irréfutables ». Mais ensuite il a dit quelque chose que, franchement, je ne m’attendais pas. Il a dit que s’il pouvait seulement éloigner l’observateur humain, il était sûr qu’il n’y aurait plus autant. « Comment ? » ai-je demandé. « Parce qu’alors, a-t-il dit, « nous serions en mesure de dire s’il se passe vraiment quelque chose, et ça changerait tout. » »

Références :
1 - Adams, Tom and Massey, Gary. "Mystery Helicopters and Animal Mutilations: Exploring A Connection." Paper presented April 20th, 1979, Albuquerque, New Mexico.
2- Saunders, David R. and Harkins, Roger R. “A Shaggy Horse Story" (Chapter 16), from UFOs? Yes! Ohio: World Publishing Company, 1968.
3- Jordan, Peter A. "Glimpses Through A Looking Glass: Four Psychics and Their Readings On The Subject Of Unexplained Cattle Mutilations." 1979. Private publication.
4- Bransford, J.D. and Johnson, M.K. "Considerations of Some Problems of Comprehension." In W.G. Chase (ed.), Visual Information Processing. New York: Academic Press, 1973.
5- Festinger, Leon, et al. When Prophecy Fails: A Social and Psychological Study of A Modern Group that Predicted the Destruction of the World. New York: Harper & Row, 1966.
6- Rommel, Kenneth M. Operation Animal Mutilation. Report of the District Attorney First Judicial District State of New Mexico. Criminal Justice Department, Grant #79-D-5-2-S, June, 1980.


Cette période de confinement m’a donné le temps de traduire ce texte de Peter A. Jordan publié en 1983. J’avais été en contact avec lui à l’époque au sujet des mystérieuses mutilations de bétail signalées en Amérique et mon travail avait abouti aux deux livres :

- Le grand Carnage, paru chez Vertiges/Carrère en 1986,
- Mutilations de bétail en Amérique et ailleurs…, paru aux éditions JMG en 2003.

A l’époque, sa thèse n’était pas la mienne. Mais ma position a évolué depuis et aujourd’hui, en 2020, je pense qu’il avait raison à 80 %.

lundi 17 février 2020

La mort de Jimmy Guieu (1926-2000)


Par Michel GRANGER

 Il y a 20 ans, mourait Jimmy Guieu. Pour beaucoup d’ufologues, il personnifia le maître de l’ufologie des années 60 du siècle dernier. Sans aller jusque là dans la considération laudative, à travers les contacts que j’ai eus avec lui (conférences, publication avortée de livre, correspondance, etc.), j’ai toujours apprécié en lui un auteur sincère, toujours soucieux de me gagner à sa cause que je ne partageais pas forcément, notamment sur la cause des mutilations de bétail. Il me considérait comme « trop tiède ». Il est vrai que jamais je n’ai jamais adhéré à l’idée que les extraterrestres sont là autour de nous, à nous guetter, nous surveiller, à charcuter notre bétail, avec une motivation claire qu’il n’a jamais réussi à m’expliciter.


Qui n’a un jour acheté dans le kiosque d’une gare un des livres de cet auteur prolifique à l’imagination débordante publié par le Fleuve Noir ? Qui n’a entendu parler des « petits gris » et des EBE (entités biologiques extraterrestres) dont il avait installé l’idée et l’archétype en France ? Qui n’a été tenté de rejoindre l’Institut Mondial des Sciences Avancées qu’il avait fondé ? Il se disait « écrivain, ufologue, parapsychologue, conférencier », quatre facettes de sa personnalité qui en faisaient un personnage hors du commun.

 Pionnier de l’ufologie

C’est en 1952 qu’il crée avec Marc Thirouin (1911-1972) le Groupe d’Etudes Ouranos, la première association française consacrée aux ovnis qu’on appelait alors soucoupes volantes. Grâce à ses appels lancés sur Radio-Monte-Carlo, il peut constituer un réseau d’enquêteurs et de correspondants. Ceux-ci ne regrettent pas de s’être ralliés à lui car les petits hommes verts répondent eux aussi présents et gratifient notre pays de la fameuse vague de 1954. Cela lui permet de publier en France le premier livre du genre « Les soucoupes volantes viennent d’un autre monde », en 1956,  et « Black-out sur les soucoupes volantes », en 1958, auxquels on se réfère encore aujourd’hui.

 

 Son intérêt pour les ovnis ne se tarira jamais, bien au contraire. Convaincu de la conspiration du silence des autorités, il sera aussi un des premiers à se prononcer sur les enlèvements, alimentant la thèse que les E.T. sont parmi nous. Sa prise de position en faveur de l’affaire de Cergy-Pontoise viendra le discréditer quand les protagonistes avoueront l’imposture, notamment dans le cadre de la collection « Les Carrefours de l’Etrange » qu’il dirigea chez divers éditeurs.

Un maître de la science fiction française

Avant tout J. Guieu était un écrivain, un vrai, un extraordinaire conteur d’histoires. Ses romans de SF prenaient appui sur les faits réels qu’il glanait à la source même de l’ufologie, du paranormal, du fortéanisme, des traditions folkloriques et d’un ésotérisme dont il avait appris à pénétrer les secrets à travers diverses confréries et sociétés qui l’avaient accueilli en leur sein.
Son œuvre considérée par certains comme mineure demeure néanmoins considérable avec plus de 100 titres, traduits, réédités et vendus à des centaines de milliers d’exemplaires. Son « Le pionnier de l’atome » publié en numéro quatre dans la collection anticipation du Fleuve Noir fait l’objet d’une recherche incessante des collectionneurs et se vend fort cher.        
Ses derniers livres inclassables mêlant SF, espionnage, voire politique pas toujours très saine, ne sont pas, à mon avis, ce qu’il a écrit de mieux.


 

 

Un conférencier hors pair

Avec sa voix si caractéristique et son port de tête énigmatique, J. Guieu savait aussi bien parler que manier la plume. J’avais pu goûter ses talents d’orateur il y a une dizaine d’années lors d’une conférence à Louhans (71) où mes amis de l’ALEPI (Association Louhannaise d’Etude des Phénomènes Inexpliqués) l’avaient invité. Il était un merveilleux discoureur et énonçait sans sourciller les pires des énormités dont il ne paraissait pas éprouver la démesure. Intimement persuadé qu’il était sans cesse sous surveillance, selon lui on ne cessait d’épier ses faits et gestes, cherchant à empêcher les révélations qu’il distillait sans complexe. J’avais eu affaire à lui lorsque, en quête d’un éditeur pour mon livre « Le grand Carnage », il m’avait demandé de le remanier dans le sens de privilégier la thèse extraterrestre pour expliquer ces inexplicables mutilations de bovins américains. Il me jugeait trop tiède dans mon engagement et m’exhortait à le suivre dans ce qu’il considérait lui, non pas comme une possibilité, mais comme une certitude. Qu’on puisse en douter lui semblait totalement exclu, moi pas.

 

Hommage à l’homme

Une bonne partie de l’ufologie française s’est retrouvée réunie derrière son cercueil à ses obsèques à La Chaussée d’Ivry, près d’Evreux, le 6 janvier dernier. La vieille école hélas de plus en plus clairsemée mais aussi la nouvelle vague, si j’ose dire, chez laquelle ses écrits ont suscité maintes vocations. Il a ouvert des horizons, entrebâillé des portes, en a enfoncé d’autres ; les extraterrestres lui doivent beaucoup mais sauront-ils s’en souvenir ou du moins se reconnaître dans sa fourmillante imagination ? Un des derniers du « cercle des poètes », il personnifiait une figure quasi mythique certes un peu dépassée mais combien sympathique.

 

J’ai publié cette nécrologie dans le journal , DIMANCHE S & L, 30/01/2000.