mercredi 2 novembre 2022

Vaches folles en Amérique ? L’Europe s’interroge. 
 
Par Michel Granger
Publié sur http://www.vegetarisme.ch en septembre 2001

C’est dans les années 70 qu’est née, quelque part dans les îles britanniques, l’idée inique de transformer les paisibles bovins, ruminants herbivores par nature, en carnassiers nécrophages ! « Pourquoi pas recycler, dans leur alimentation, des résidus d’équarrissage en tant que « farines » animales (antinomie évidente) », se sont dit quelques inconscients non identifiés. Deux avantages dans cette opération contre nature : les protéines animales dopent la croissance des animaux (veaux plus gros en moins de temps, d’où meilleure rentabilité) et la production de déchets est ainsi temporairement éliminée (moins de nuisances) car ceux-ci sont réincorporés dans la chaîne alimentaire, un « principe » utilisé depuis des lustres pour les omnivores et les poissons. 

Opérations irresponsables. 
Pendant plusieurs années, un tel processus s’instaura quasiment à l’insu du consommateur qui ne vit pas le prix de la viande baisser, bien au contraire. C’était tout bénéfice pour les acteurs de la filière. Or, non contents de valoriser les déchets d’équarrissage (notamment les carcasses de moutons morts de « la tremblante » et de vaches contaminées mais non déclarées comme telles – les bovins devenaient de surcroît cannibales !), par mesure d’économie d’énergie, le gouvernement britannique Thatcher autorisa la diminution de la température de chauffage de cette concoction de résidus d’animaux en sorte que la protéine « prion » résista au traitement. Cet « agent », qualifié de « protéine infernale », qui provoque des « encéphalopathies spongiformes transmissibles » (BSE pour les bovins), était encore non identifié à cette époque et rien ne laissait supposer qu’il puisse même exister quelque chose de pathogène de ce type. Le cycle de propagation se fit silencieusement jusqu’en 1986. 

Transmission entre espèces ou maladie nouvelle ? 
La tremblante du mouton, connue depuis 200 ans est l’équivalent de la BSE chez les ovins ; inoffensive pour l’homme qui consomme sans problème des animaux malades, elle a sauté à la vache tout en devenant plus pathogène. Dès 1986, des publications scientifiques parlaient de « risque différent » interespèces. Même encore aujourd’hui, les rapports officiels (surtout britanniques) font peu de cas de cette théorie de transmission aux bovins à partir du prion du mouton contenu dans les farines animales, comme, par exemple, le rapport Phillips d’octobre 2000. On parle de « théorie populaire » et y oppose la thèse de l’apparition d’une « nouvelle maladie » chez les bovins venant de la mutation dans le gène du prion chez le mouton et chez la vache dans les années 70 ! Dans ces conditions, la question qui se pose est : « Pourquoi cette nouvelle maladie n’est réservée qu’à certains pays » ? 

De gros dégâts en Europe 
Depuis 1986, date à laquelle la maladie de la vache folle est reconnue officiellement (1er cas recensé dans une ferme du Sussex en 1984), l’Europe est touchée durement par l’épidémie. L’ « hystérie » provoquée par la BSE a provoqué une chute de la consommation de viande de 30 %. En Grande Bretagne, 60 cas en 86, 600 en 87, 3000 en 1988. Point culminant en 1992 avec 37 000 cas, pour un total plus de 173 700 cas à mi 99. Le Royaume-Uni est toujours aujourd’hui en première ligne face à ce fléau mais beaucoup d’autres pays européens y sont confrontés. La Hongrie, la Roumanie, les pays de l’Est etc. Des cas ont été signalés en Indonésie si bien qu’on peut se demander si la Grande Bretagne a contaminé toute la planète en exportant des farines animales bien longtemps après qu’elles furent interdites sur son territoire? Les rares pays qui se disaient épargnés ont dû dernièrement reconnaître des cas de BSE, notamment l’Italie et l’Allemagne…

En France 
La France, avec son cheptel bovin de 20 millions de têtes, n’a pas échappé à la BSE. Les tests de dépistage systématiques entrepris en décembre 2000 donnent un chiffre de 0,027 pour mille de têtes de bétail contaminées, ce qui conduit quand même 540 bovins qui développeront la maladie. Sur les carcasses de vaches mortes (ou abattues) suite à maladie ou accident, ce chiffre est multiplié par 50 ! A fin 1999, on en était à 75 cas français mais l’année 2001 a vu les cas se multiplier dont plusieurs sur des bêtes nées après 1990, date de l’interdiction des farines en France. On ne serait pas au bout de nos surprises donc. D’après certaines études britanniques, un prion inoffensif pour une espèce pourrait être pathogène pour une autre. Par exemple, le prion bovin pourrait être porté par les volailles, le mouton ou le porc qui, paraissant sains, pourraient le transmettre à une autre espèce pour laquelle il serait pathogène… A l’homme, par exemple. 

Danger pour l’homme 
A l’apparition de la maladie de la vache folle, tous les experts assuraient que la transmission à l’homme était totalement exclue bien qu’un chat fût diagnostiqué « fou », en 1990. Or, dix ans après le premier cas de BSE, fut signalé le premier cas de maladie de Creutzfeldt-Jacob (C-J). Depuis 1996, 106 cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob (C-J) consécutive à la consommation de viande infectée par le prion ont atteint surtout des jeunes (une seule personne âgée atteinte) dont 99 fatals. Cette maladie est considérée aujourd’hui comme « la forme humaine de la BSE ». 27 cas en 2000 et 16 en 2001 à ce jour. Les 5 morts rien que dans le petit village de Queniborough, dans le Leicestershire, ont beaucoup ému l’opinion (contamination croisée chez les deux bouchers locaux). Trois en France officiellement. La durée d’incubation est estimée à 15 ans Des estimations plus ou moins alarmistes ont annoncé entre 150 et 500 000 cas à venir ! Deux cas de C-J. hors d’Europe ont été signalés en Thaïlande, et des cas suspects proviennent de Corée et d’Espagne. Rien aux Etats-Unis ? L’annonce officielle que les Etats-Unis, au terme d’une « active surveillance » de plus de 10 ans, n’ont eu à déplorer aucun cas de maladie de la vache folle « laisse sceptique plus d’un expert de l’Union européenne », écrit textuellement le mensuel français SCIENCE & VIE, dans son numéro de juin 2001. « Nous n’avons pas de BSE » a déclaré cette année une officielle du département américain de l’Agriculture. Sans entrer dans la polémique « économique », il faut reconnaître que cette « virginité américaine » a tout pour surprendre les esprits scientifiques. En effet, jusqu’en 1996, au plus haut de la crise de la vache folle, les Etats-Unis importaient encore des bovins, de la viande, des os et des farines animales britanniques. Or même si elles furent interdites en France dès 1991, on a vu que le territoire français est aux prises avec une montée en nombre des cas déclarés encore aujourd’hui. Les tests de dépistage officiellement menés sont en nombre dérisoire (2000 en l’an 2000 !) et malgré l’interdiction dès 1997 des farines animales pour les ruminants aux USA, on sait qu’il y a eu des loupés notamment par Purina Mills. 

Quelques interrogations 
Et donc de chercher des autres pathologies déclarées sous lesquelles le Ministère de l’Agriculture américain pourrait camoufler ses cas d’ESB. Science & Vie avance 2 possibilités : le syndrome de vache couchée (Downer Cow Syndrome) où la bête se couche en position dite « de grenouille » et qui pourrait passer pour la phase finale d’une ESB chez un animal agonisant. Par ailleurs, pourquoi une variante de l’ESB (à prion) nommée maladie débilitante chronique « Chronic Wasting Disease » (CWD) s’est-elle propagée récemment aux cerfs et wapitis d’élevages de cervidés du Nebraska, du Dakota Sud, du Montana et de l’Oklahoma et en Saskatchewan, au Canada (un seul cas d’ESB recensé au Canada sur une vache originaire d’Angleterre, en 1993) et plus récemment encore aux cervidés sauvages du Colorado et du Wyoming? Bien que présente déjà en 1967 au Colorado, la multiplication récente des cas de CWD n’est-elle pas due au fait que les cerfs d’élevage sont nourris avec des farines d’origine bovine. Une telle transmission entre espèces différentes a été mise en évidence dans les zoos britanniques où les cervidés sont « devenus fous » suite à leur nourrissage aux farines contaminées par l’agent de l’ESB. Alors pourquoi pas de vache folle aux Etats Unis ? En 1997-98 trois cas de maladie de C-J ont été diagnostiqués en Géorgie chez de jeunes chasseurs ! Il est vrai que les wapitis tués par les chasseurs sont, la plupart, des animaux d’élevages remis dans leur milieu naturel. Par ailleurs, des travaux de l’Université du Wisconsin, à Madison, ont clairement montré que des farines utilisées en Amérique pour nourrir les visons contenaient des prions de vaches folles puisque la maladie s’est transmise aux visons d’élevage par ce biais (Journal of Comparative Pathology, Volume 113, 1995). Bref tout cela relève du miracle que les Etats Unis soient épargnés par la maladie de la vache folle. De l’intoxication psychologique (on parle beaucoup de « cover up » Outre Atlantique) ou d’un manque d’intérêt, « de zèle », écrit S & V. Jamais une seule vache couchée n’a été « testée » quant à la possibilité qu’elle soit atteinte de l’ESB. L’affaire des 376 moutons belges strictement nourris à l’herbe, abattus en Washington, suite à des signes de prion « d’origine étrangère » détectés chez 7 d’entre eux, n’a convaincu personne.

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