vendredi 10 novembre 2017

L’étrange accompagnateur du vol 1628 (1987)


        « La plus importante histoire d'ovni de notre temps », écrivait l'Inquirer de Philadelphie. « La plus bizarre observation aérienne de l'histoire de l'aviation », renchérissait le Daily News d'Anchorage, tous les deux en date du 5 janvier 1987.
  
Dessin humoristique de la rencontre de Terauchi selon l'Inquirer de Philadelphie.
« Rien d'anormal, c'est juste comme dans les films. »
 Voyons les faits.

Lumières à l’horizon
Nous sommes le 17 novembre 1986. Un Boeing 747 de fret des Japan Air Lines (JAL), parti de Paris et ayant fait escale à Reykjavik, Islande, se dirige vers Tokyo via Anchorage au dessus de la Mer de Beaufort, sur la côte nord de l'Alaska. Le temps est clair et le vol 1628 a été jusque-là sans le moindre incident. Il transporte, entre autres, des bouteilles de Beaujolais, ce qui inspirera les médisants !

Il est 18 h 13, heure locale, et le crépuscule s'installe. Le soleil a disparu à l'horizon (il est à 11 degrés en dessous) quand le pilote, Kenju Terauchi, 47 ans, repère à gauche, au loin, à l'avant de l'appareil, « deux lumières clignotantes » dont il estime être séparé de 11 à 12 km environ. « Sûrement des avions de chasse ou des jets en mission spéciale », pense-t-il.

Mais au lieu de s'éloigner, les feux tantôt blancs, tantôt jaunes, demeurent en position à 600 mètres au dessous de l'avion. Il est 18 h 19 quand Terauchi décide d'alerter par radio les contrôleurs radar du trafic aérien de la FAA (Administration Fédérale de l’Aviation US) à Anchorage.

Carl Henley, technicien, est devant son écran, 10 km plus bas et il entend le copilote Takanori Tamefuji, qui, lui aussi, voit des taches brillantes, demander : « Eh, nous avons là-bas en vue deux lumières devant nous... »

Avant même qu’il puisse répondre qu’aucun appareil n’est sensé se trouver dans les parages, les deux points lumineux commencent à « manœuvrer ». « Comme deux jeunes oursons jouant l’un avec l’autre », dira plus tard Terauchi !

Et ils viennent se placer devant l’appareil, à moins d’un kilomètre de distance, lançant des jets flamboyants au point que le pilote a une sensation de chaleur sur le visage à travers le cockpit. Il évalue leur taille à celle d’un DC 8. Mais ils n’en ont aucunement la forme. Celle-ci ne rappelle rien de connu : ce sont « deux cylindres enveloppés de raies de lumière pointillées latéralement qui partent d’un centre plus sombre ».

Dessin de Terauchi selon People Weekly du 28 janvier 1987.

« Comme du charbon de bois piqueté de cendres ardentes et incandescentes. » Et tout cela se déplace « en formation » avec le jumbo jet à 900 km/h, « comme contrôlé par me intelligence » (Terauchi).

En bas au sol, les contrôleurs ne voient rien d’autre sur l’écran que le 747.

Mais voilà que les objets lumineux s’éloignent vers la gauche et disparaissent. On respire à bord, ayant craint un moment la collision.

C’est alors qu’un spot s’inscrit sur le radar de bord de l’avion, à gauche encore. L’équipage regarde dans cette direction. « Quelque chose » est là en effet qui semble suivre l’appareil : « une grosse bande de lumière blanche brillante ».

La voix du pilote est, cette fois, secouée de tremblements. Les contrôleurs focalisent leur radar pour mieux voir. Une image apparaît sur l’écran, précisément là où le pilote a signalé l’objet. La base militaire de l’Air Force de Elmendorf alertée, confirme l’observation. Il est 18 h 26.

« Un gigantesque objet nous suit. »
Comme l’avion survole Fairbanks, le halo lumineux montant de la ville permet au pilote d’avoir une meilleure vision de l’objet : c’est une gigantesque masse vert sombre « en forme de noix barrée par le milieu horizontalement d’une bordure éclairée comme un tube néon ». Sa taille : « environ celle de deux porte-avions mis bout à bout ». Donc de 180 à 200 mètres !
Dessin de Terauchi.
 Pour essayer d’échapper à ce formidable ovni qui les suit, Terauchi obtient des techniciens de la FAA l’autorisation d’abaisser son altitude de un kilomètre. L’objet descend en même temps. Toujours avec l’aval des contrôleurs au sol qui ont perdu le spot radar correspondant au compagnon du 747, l’avion vire à droite deux fois à 45 degrés puis complète un retournement complet sans que son fantastique « suiveur » ne modifie moindrement sa position relative ; ce qui a demandé une grande vitesse d’exécution si vraiment l’ovni se trouve entre 8 et 13 km (calcul basé sur l’observation radar au sol).

Deux autres avions qui croisent dans le secteur - un des United Lines venant de décoller d’Anchorage et un cargo Totem C-130 - sont avertis de l’aventure et ils se dirigent vers l’appareil du JAL. Arrivés en vue de celui-ci - ils ne verront pas l’ovni - la barre lumineuse « s’est éteinte ». Ne reste que le clair de lune. « C’était comme dans un rêve. Incroyable », rapporta Terauchi. Il est 18h 53.

La poursuite a duré au total 40 minutes et s’est étalée sur près de 600 km.

Le black-out échappé de justesse
Lorsque l’avion se pose à Anchorage quelques minutes plus tard, l’équipage des trois hommes - il faut ajouter au pilote et copilote l’ingénieur de vol Yoshio Tsukuda - est longuement entendu par les responsables de la FAA.

Cela, on l’apprit bien plus tard car rien de l’incident ne filtra dans les médias. Et il est probable qu’on n’en aurait définitivement rien su si la FAA n’avait pas été harcelée par des reporters japonais, lesquels avaient eu vent de l’affaire par un des parents des pilotes.

L’histoire fut donc rendue publique le 1er janvier 1987. Beau cadeau de Nouvel An pour tous les ufologues du monde entier qui ne se firent aucune illusion : « on va tout faire pour « tuer » cette rocambolesque histoire », prédisait l’un d’eux.

Aussitôt dit aussitôt fait.

Fi de l’accusation de rétention de l’information: « Nous n’avons pas voulu répandre la nouvelle » , déclarera Paul Steucke, porte-parole de la FAA.

« Notre rôle est d’informer le public du bon travail de la FAA, pas des choses bizarres de l’espace » ! Le ton était donné.

En ce qui concerne les enregistrements radar du 17 novembre, ils furent « réexaminés ». Et il se révéla que le fameux blip capté par la FAA n’était qu’un écho du vol 1628 lui-même - il paraît que cela arrive souvent, un « objectif primaire non corrélé », en d’autres termes un artefact, un fantôme quoi ! Et le spot observé au même moment sur les radars de l’Air Force était, pour sa part, un « objectif anormal ». En clair, les contrôleurs de la FAA avaient mal interprété un dédoublement de l’image de l’avion et les militaires avaient fait une malencontreuse confusion... Et ceci malgré les propos de Sam Rich, l’un des trois radaristes de la FAA qui, comme ses collègues témoins du phénomène, « avait bien cru que c’était l’image radar d’un engin volant ».

Certes, ce double concours de circonstances était quand même extraordinaire ; Steucke, ironique, dira : « une coïncidence de deux mirages avec une observation certainement hallucinatoire... »

La machine à démystifier en marche
En effet, bien que reconnu comme qualifié, à jeun et non drogué  (il ne put s’empêcher de dire qu’un moment, il avait pensé que ses poursuivants « voulaient boire le vin français ! » - , le pilote Terauchi apparut comme ayant un lourd passé ufologique : n’avoua-t-il pas avoir vu, au cours de ses 27 ans de carrière, déjà deux ovnis ? Et sa sale habitude parler de « vaisseaux spatiaux » ou de « vaisseau-mère » pour désigner ce qu’il avait cru voir dans le ciel ne pouvait qu’attiser la suspicion.

De surcroît, voilà que le 11 janvier 1987 au matin, lors d’un vol Londres-Anchorage, Terauchi rapportait une deuxième « rencontre », l’impudent !

Le pilote Terauchi.
Et à peu près au même endroit, il décrivait « des lumières irrégulières ressemblant à celles d’un vaisseau » (le vocabulaire américain du Japonais était décidément très limité).

Cette fois, les contrôleurs radar ne confirmaient pas l’observation.

Et Paul Steucke pouvait avancer tranquillement l’hypothèse quasiment certaine « de lumières venant du sol réfléchies sur des cristaux de glace dans l’atmosphère » (thèse dérivée de la fameuse explication des ovnis par une inversion de température dans les couches nuageuses).

Terauchi acceptait d’ailleurs cette interprétation sans rechigner, reconnaissant qu’il avait pu se tromper. Depuis, il a été muté (rotation de routine selon les AL) à Tokyo pour des vols de jour (!) après avoir passé 3 ans à Anchorage où il utilisait son temps libre à pêcher le saumon rouge... Mais je parie que ce hobby lui a passé brusquement...

Philip K. Klass (1919-2005).
Le point final à cette affaire avait été porté par Philip J. Klass, un acharné dénonciateur de faux ovnis, décédé depuis. Selon lui, « il est presque sûr que l’objet vu par Terauchi était extraterrestre et sa taille colossale ». Et pour cause, c’était très certainement la planète Jupiter brillant d’un éclat inaccoutumé. L’ancien éditeur de la revue : Aviation Week & Space Technology était parvenu à cette conclusion au terme de savants calculs sur ordinateur quant aux positions des corps célestes par rapport au Boeing, en cette soirée mémorable du 17 novembre.

Et ce devait être la planète Mars qu’on avait confondue avec les deux premiers ovnis. « Ce n’était pas la première fois qu’un pilote expérimenté prend un corps céleste pour un ovni et sûrement pas la dernière » (sic).


Enquête officielle
La FAA rendit public , le 5 mars 1987, le résultat de son enquête de 3 mois qu’elle avait rouverte en janvier sous la pression de l’opinion: 400 demandes de copies des documents radar vendus au prix de 200 dollars. Elle confirmait tout ce qu’on a dit plus haut : vision radar erronnée « malheureusement apparue juste quand le pilote rapportait voir quelque chose à l’extérieur de son avion ! »

« La conclusion est qu’on ne peut conclure », affirmera textuellement Paul Steucke. « On ne peut rien confirmer ni infirmer. Il n’y a plus rien à investiguer ».

P. Steuke révélait quand même que la FAA avait divulgué une autre observation par un autre équipage des Alaska Air Lines, au-dessus de McGrath, le 29 janvier repéré sur le radar atmosphérique de l’appareil : une cible qui se déplaçait à 500 km/minute (30 000km/heure) mais qui ne fut pas repérée visuellement ni par les radars au sol. L’agence avait interrogé les pilotes mais « ne s’était formé aucune opinion » sur cette nouvelle observation. Sûrement la même que sur la précédente.

Plus de vingt ans après, ce cas spectaculaire a été bien sûr oublié. Il n’empêche que l’observation de ces « vaisseaux-mères » encombre les annales de l’ufologie ; on parle le plus souvent d’engins aussi grands qu’un terrain de football. Le dernier en date est récent puisqu’il a été rapporté par l’équipage d’un vol des Aurigny Airlines le 23 avril 2007 : un ovni géant d’un miles de long, selon le capitaine Ray Bowyer qui l’observa avec ses jumelles de bord. « C’était un objet très net, mince et jaune avec une zone verte ».

« Il était à 600 mètres d’altitude et à une distance que j’estimai tout d’abord à une quinzaine de km ; ainsi, sa taille aurait été celle d’un Boeing 737. Mais le pilote réalisa que la distance était plutôt de 6 km, d’où il rajusta sa taille de l’ordre 1 miles ».  A l’approche de Guernesey, « un second objet identique fut observé plus loin à l’Est ».

Les observations furent confirmées par plusieurs passagers et par un pilote non identifié d’une autre compagnie aérienne. L’autorité de l’aviation civile (CAA) confirma l’observation mais ajouta qu’elle ne savait pas pourquoi certaines parties du rapport n’avait pas été publiées.

Décidément, il se passe quand même des choses dans le ciel, comme l’a souligné la réunion de pilotes à Washington le 12 novembre 2007.


Initialement publié sous le titre « Enorme ovni, au dessus de l’Alaska », DIMANCHE S. & L.,  1er novembre 1987.
Version abrégée publiée en « best »,  DIMANCHE S. & L., 15 Juillet 1990.
Version augmentée titrée : « L’étrange accompagnateur du vol 1628 », in LE MONDE DE L’INCONNU, N°333, août-septembre 2008.

Dernière mise à jour : 16 juillet 2009.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire