lundi 15 décembre 2025

Un pas de plus franchi vers la vie artificielle ? Par Michel GRANGER Pour la première fois sur Terre, une forme vivante (bactérie monocellulaire) est rapportée vivre et se reproduire avec un matériel génétique non hérité de ses ancêtres, donc non créé par la Nature : elle possède un « génome » obtenu chimiquement en laboratoire et « se réplique » à partir de lui en le transmettant tel quel à ses descendants. Voilà qui nous rapproche de l’avènement de la vie artificielle non robotisée (machines) mais issue d’une biologie dite « synthétique » ! Un domaine qui suscite de grands espoirs mais aussi un certain nombre d’inquiétudes. L’annonce, le 25 mai dernier dans la grande revue américaine Science, a fait grand bruit : une équipe de chercheurs américains est parvenue à faire survivre une cellule bactérienne du type mycoplasme (responsable de la mastite chez la chèvre) en remplaçant son matériau héréditaire naturel (ses gènes, en l’occurrence, constitués d’acide désoxyribonucléique = ADN) par la copie synthétisée chimiquement de celui d’une autre bactérie plus inoffensive. Et, ainsi transplanté, ce « génome synthétique » de l’autre espèce (à savoir une bactérie vivant dans les parties génitales de l’homme et des primates !) a pris le contrôle de la bactérie initiale pour se multiplier et se développer en colonies comme tout micro-organisme vivant qui se respecte et veut assurer sa pérennité. Et ce, en reproduisant à l’identique le chromosome bactérien artificiel identifiable par des marques placées intentionnellement « en filigrane » comme celles sur un billet de banque. Un peu comme si un « transplanté » cardiaque avec un cœur artificiel faisait des enfants dotés de ce même cœur mécanique ! Un exploit assurément technique - 20 personnes y ont travaillé pendant 10 ans pour un budget de 32 millions d’euros, selon Science – qui n’a pas réussi du premier coup à cause d’une « erreur » qui touchait à une seule base*, mais aussi une manipulation diversement saluée. Cette « première », du point de vue où on se place, ouvre tant de perspectives que cela donne le vertige ou bien elle donne des frissons. Pour certains – et particulièrement pour l’équipe de biologistes privés qui viennent d’inscrire cette percée à leur actif - il s’agit là d’une prouesse qui s’inscrit dans le cadre d’une accession rapide à la vie artificielle. Pour le directeur de Genopole à Evry (l’institution française qui aurait pu rivaliser avec les Américains) : « c’est une révolution qui va avoir d’importantes retombées sur le plan cognitif et industriel ». Encore une fois la France qui, il y a encore quelques années, faisait figure de « pionnière » en matière de biologie synthétique, a dû laisser le champ libre aux Américain, officiellement pour des raisons d’éthique mais plus probablement faute de moyens suffisants pour se maintenir à niveau. Parmi ces prolongements éventuels à venir, il y a des cellules répondant à des besoins spécifiques – des sortes de « micro-usines » - pour produire de l’énergie « verte » (hydrogène, mais aussi des biocarburants à partir d’algues au génome ainsi synthétisé) ou des médicaments pharmaceutiques dans des fermenteurs. On peut aussi envisager cette technique pour absorber dans l’atmosphère terrestre le gaz carbonique responsable au moins partiellement du réchauffement climatique ou encore fabriquer des protéines utilisables pour des vaccins. Un autre son de cloche provient des détracteurs de ce procédé qui consiste à singer la nature : selon eux, « on a ouvert « la boîte de Pandore », celle qui nous expose aux risques les plus graves ! Ou bien, on a entrouvert une porte potentiellement dangereuse pour notre destinée » (selon un professeur d’Oxford). Plusieurs ONG ont demandé un moratoire sur cette technique jusqu’à ce que des protocoles de contrôles soient mis en place. Car, une fois le génome reproduit chimiquement, rien n’empêche de le modifier de façon viable sans en prévoir véritablement le résultat ou, plutôt, tout en le sachant afin de fabriquer des armes et autres épouvantails biologiques qui pourraient décimer l’humanité en échappant à leurs créateurs. Le responsable de cette percée en direction d’une vie artificielle se nomme Craig Venter : il est un chercheur privé et un « bouillant chef d’entreprise » (il a embauché un ancien prix Nobel de médecine de 79 ans !), passionné de voile et de courses transatlantiques, qui œuvre hors des institutions et des académies ; en clair un franc-tireur de la biologie qui sut coiffer le consortium public international dans le projet de séquençage du génome humain grâce à un dispositif automatisé** – 3 milliards d’éléments. Il a été entendu par les membres du congrès américain sur les intentions et les voies de développement programmées de son équipe ; le Président Obama a même vite réagi en demandant à la commission de bioéthique de la Maison Blanche de rédiger dans les 6 mois un rapport sur les enjeux de cette « biologie synthétique ». Selon les supporteurs de celle-ci, la production d’une vie artificielle est à prévoir avant 10 ans ; pour ses détracteurs, « nous sommes encore très loin de la création d’une nouvelle forme de vie ex nihilo***, ce « graal » qui nous mettrait an niveau de Dieu ! Bizarrement, l’Eglise ne s’est pas élevée contre ces expériences qui, selon elle, « sont bénéfiques aux hommes » à condition que ceux-ci restent modestes car « seul Dieu est le créateur et l’homme, lui, fabrique ». * une « base » biochimique, ou nucléotide, c’est la partie élémentaire du « gène » obtenue à partir des 4 bases fondamentales, toujours les mêmes pour le vivant terrestre (A, C, T, G comme adénine, cytosine, guanine et thymine), combinées à l’infini. Aujourd’hui, on sait fabriquer un gène comprenant des milliers de bases placées dans l’ordre adéquat pour quelques centaines d’euros ; c’est la firme américaine « Blue Heron », le leader mondial de l’industrie de l’ADN, qui a fourni les séquences génétiques copies de celles du mycoplasme humanoïde à l’équipe de C. Venter. Le travail restant, le plus dur, fut de procéder au changement du moteur et surtout de réussir son redémarrage. L’ADN humain, lui, est une chaîne très longue (plusieurs milliards) de ces nucléotides enroulée en hélice découverte en 1953 par les Américains, Crick, Watson et Franklin. ** selon un collègue peu charitable, les machines de séquençage d’ADN de Venter, « ce n’est pas de la Science, car même un singe pourrait les faire marcher ! » *** en effet, l’ADN d’une bactérie c’est son « moteur » mais il ne constitue que 1 % de la totalité ! Publié dans MONDE INCONNU, n°345, août-septembre 2010.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire