lundi 9 janvier 2017

KLEE, l’indicatif TV revenu de nulle part




« Les civilisations avancées de l'espace utiliseront un jour les signaux de télévision pour contacter l'humanité », prédisait, en 1975, le grand astronome et astrophysicien américain de l'Université Stanford, le Dr Ronald N. Bracewell (1).

Et d'ajouter: « A mon avis le message nous sera envoyé par l'entremise de la télévision parce qu'il est plus aisé d'échanger des idées par des signes et des images. Ce seront probablement des signaux géométriques que les extra-terrestres enverront comme test pour savoir s'il existe de la vie intelligente sur la Terre ».

L'ennui, chez les scientifiques, fussent-ils aussi illustres que le Dr Bracewell (1921-2007), c'est qu'ils sont certes les champions en matière de prospective technologique et les maîtres dans le domaine de la futurologie à long terme, mais ils demeurent bassement anthropomorphiques dès qu'il s'agit d'imaginer des comportements, des intentions, des lignes de conduite émanant d'intelligences autres que la nôtre.

Dans le cas précis qui nous occupe, il est question de déterminer quelle forme pourrait prendre le message que des êtres « étrangers » auraient décidé de transmettre par le biais de la télévision. Et là l'idée de l'astronome américain, à savoir un message formé d' « images géométriques », paraît simpliste pour ne pas dire naïve.

Beaucoup plus grisante est la démarche qui consiste à se demander comment « ils » interféreraient avec nos propres émissions pour se signaler à notre attention sans déclencher la vague de panique si souvent redoutée.

Cette manière de raisonner est d'autant plus féconde qu'elle permet d'envisager que de tels messages aient pu déjà nous parvenir sans que quiconque, sur Terre, ne les ait reconnus comme tels !

Plutôt que d'ajouter foi à quelques relations peu crédibles selon lesquelles des entités étrangères seraient apparues sur des postes TV isolés et y auraient transmis un message - le cas se serait produit, selon le St Petersburg Times du 28 Novembre 1977, à Southampton (Grande Bretagne), penchons-nous ici sur le cas d'une anomalie TV observée autour des années soixante, oubliée depuis, mais qui pourrait constituer la manifestation du message tant attendu et pas assez explicite pour emporter la conviction des spécialistes.

Du Texas à l’Angleterre
Voici les faits, en un premier temps. Jusqu'en 1950, il y avait à Houston, Texas (USA) une station de télévision dont la marque d'identification était constituée par le sigle de 4 lettres: KLEE.

C'est sur le même principe que nos trois chaînes TV françaises sont désignées respectivement par TF1, A2, FR3 et autre M6. Comme il est coutume, pendant les périodes creuses ou la station ne diffusait aucune émission (2), elle transmettait tout de même une mire destinée aux réglages que doivent nécessairement effectuer les professionnels en dehors des heures de programmes. Ainsi, la mire de la station comportait-elle, en grosses lettres sur l'écran, l'inscription KLEE TV.

En juillet 1950, la station texane fut revendue à un groupe concurrent qui la débaptisa en « KPRC TV ». Automatiquement, la mire marquée « KLEE TV » fut remplacée et alors, selon toute logique, elle n'aurait plus dû jamais réapparaître en direct ou autrement sur aucun appareil récepteur de télévision et ceci au Texas, certes, mais aussi ailleurs, à plus forte raison.

Or, justement de façon tout à fait imprévue - voire impossible - des images de cette mire furent captées plusieurs années plus tard, non seulement dans la banlieue de Houston, mais dans des lieux aussi éloignés que le Wisconsin, le Connecticut, le New Jersey, l'état de New York et même en Angleterre !

C'est ainsi que des particuliers tels que Charles W. Batley de Londres, H. C. Taylor de Morecambe, Lancashire, spécialiste des réceptions TV longue distance et des professionnels de l'Atlantic Electronics Ltd de Lancaster, signalèrent le fait à plusieurs reprises à l'automne 1953 et au début de 1954.

Une photo du signal parasite
Et des photos d'écrans affichant le sigle « KLEE TV » furent même envoyées à Paul Huhndorff, ingénieur en chef à la KPRC.
Pas de doute, bien qu'ayant subi certaines distorsions, les lettres étaient tout à fait reconnaissables et leur disposition correspondait exactement à celle qu'elles occupaient sur la mire de KLEE transmise jusqu'en 1950 et qui n'avait plus été diffusée depuis plus de 3 ans!

Le phénomène continua à être rapporté pendant plusieurs mois... même des années puisqu'en février 1962, une téléspectatrice de Millwaukee (Wisconsin) vit apparaître sur son écran la fameuse inscription KLEE TV.

Mrs Rosella Rose, c’était son nom (!), relata : « C'était le matin, entre 7 et 7 h 30, avant de partir au travail, je tentais de capter une émission sur ma télé. Soudain, sur l'écran, apparut l'inscription KLEE TV. Or, je n'avais jamais entendu parler de cette station et je ne savais pas d'où cela pouvait provenir. L'image clignota plusieurs fois et disparut ».

Un « différé » de plus de 11 ans totalement incompréhensible. Une « absurdité technique selon les techniciens britanniques de la BBC et ce, à plus d'un titre.

Absurdité technique ?
Tentons d'expliquer simplement pourquoi la réception différée d'un signal de télévision sur ainsi plusieurs années, et à une telle distance de l'émetteur, peut constituer « une des plus étranges énigmes des temps modernes » ; une « impossibilité technologique », surtout à une époque où aucun satellite de communication n'était officiellement installé dans le ciel et où les liaisons transatlantiques étaient laborieuses.

Tout d'abord, la nature même des ondes TV dites de hautes fréquences (longueur 1 à 10 m, fréquence 30 à 300 mégahertz selon les pays) exclut complètement l'éventualité d'un « signal vagabond » ricochant sur les couches supérieures de l'atmosphère; l'hypothèse évoquée d'un train d'onde errant à réflexion multiple est donc une utopie.

Les ondes TV se propagent, en effet, en ligne droite et traversent normalement l'atmosphère, s'échappant directement dans l'espace, si bien que, compte tenu de la rotondité de la terre, il a fallu les rabattre vers le sol afin d'atteindre et « arroser » une plus vaste zone ; comme, ainsi, au delà de l'horizon optique le champ décroît très vite, on a dû disposer sur le territoire visé de hautes antennes relais pour augmenter la portée de la diffusion et, plus tard, placer des satellites en orbites destinés au même effet. En 1950, il n'y en avait pas que je sache.

Qui n'a pas, par ailleurs, remarqué que les ondes porteuses de TV ont un champ de transmission extrêmement limité et qui n'en a jamais pâti (3), à l’époque héroïque des premières réceptions TV, en suivant un film où les images étaient désagréablement déformées ?

Bien que les ondes TV soient plus pénétrantes que les ondes radio -lesquelles ont de plus grandes longueurs d'onde -, elles butent sur les obstacles matériels solides, créant de véritables « zones d'ombre ». C'est bien connu. Et la propagation indirecte par réflexion, peu importante au demeurant, ne peut pas être exploitée techniquement, sauf cas particuliers, à cause des effets d'échos ou de distorsion. C'est pourquoi les relais sont de complexes systèmes récepteurs- réémetteurs et non pas de simples miroirs réfléchissants.

Quant à la réflexion des signaux TV sur les couches gazeuses de l'ionosphère, elle ne se produit pratiquement pas, contrairement à celle des ondes radio qui, elles rebondissent dessus et peuvent ainsi faire le tour de la Terre plusieurs fois de suite, provoquant de la sorte des messages « errants ». Ce type de phénomène de ricochet est donc totalement exclu en télévision.

De la sorte, les ondes TV traversent la coquille gazeuse de l'atmosphère terrestre et se perdent alors dans l'espace. C’est ainsi qu’on a pu dire que d’éventuels extraterrestres sont avisés de nos programmes de télé depuis plus d’un demi-siècle.

Pour expliquer le retour incongru du signal KLEE TV, on a bien émis l'hypothèse que les ondes porteuses avaient pu être renvoyées vers la Terre dans des conditions atmosphériques particulières. De l'avis des experts, c'est possible mais peu probable.

De cette manière, justifierait-on par des circonstances climatiques exceptionnelles que le fameux sigle eût pu être réceptionné à une distance aussi lointaine du point d'émission que l'Angleterre ? Difficile déjà à admettre.

Problème du décalage
Mais le mystère reste entier pour ce qui est du « décalage temporel » enregistré entre le moment de la dernière diffusion (1950) et celui de la première « réception impossible » en 1953 ! Car une autre propriété des ondes TV, c'est qu'elles se propagent à une vitesse proche de celle de la lumière ; donc, même si elles subissaient des réflexions successives autour du globe terrestre - et les chances en sont naturellement infinitésimales, on l’a vu -, elles seraient captées avec un retard qui ne saurait excéder quelques dixièmes de seconde !

Par conséquent, que le dernier signal KLEE TV ait pu errer entre ciel et terre de façon captive, pendant trois ans et même plus, répercuté alternativement au sol et sur les couches supérieures de l'atmosphère comme une mouche enfermée dans une bouteille, relève de la pure utopie ou plutôt de la plus grande stupidité. D'ailleurs, si par extraordinaire cela s'était produit, la mire aurait dû être régulièrement interceptée entre 1950 et 1954 ; or, elle ne l'a pas été... Ce retour à l'envoyeur fortuit après tant de déviations aurait dû aussi générer des déformations telles qu’elles auraient rendu la mire non identifiable.

Une autre conjecture avancée en la circonstance pour solutionner le problème posé est que les ondes TV porteuses du fameux message KLEE TV aient traversé l'ionosphère (comme toute onde TV qui se respecte), se soient échappées dans l'espace normalement et réfléchies accidentellement sur « un corps céleste inconnu » propice à cela, situé à quelques années lumière de distance de la Terre. On peut toutefois et on doit se demander lequel. Et là les réponses ne se bousculent pas au portillon.

A propos de KLEE, un ingénieur de la BBC (British Broadcasting Corporation) déclarait : « Il est physiquement impossible que ces ondes de télévision soient allées rebondir par hasard sur quelque obstacle céleste situé à une si grande distance. Nous sommes confrontés à un phénomène qui défie complètement nos connaissances actuelles sur les transmissions TV ».

Autre impossibilité !
Mais il y avait pire que cela pour inscrire cette énigme au livre de l'amphigourique. Car, quand bien même la réflexion aurait eu lieu sur un corps inconnu de l'espace, il était de surcroît hors de question à l'époque que, émis par une station TV américaine, le message puisse être capté et rendu « télévisuellement » directement par un appareil récepteur britannique puisque les deux pays n'utilisaient pas le même système de transmission.

Les caractéristiques techniques des images transmises par l'un et l'autre des pays étaient totalement incompatibles : polarité, balayage horizontal et vertical (nombre de lignes), fréquence, amplitude de modulation, etc. Même aujourd'hui, lorsque des émissions américaines en direct sont relayées par satellite pour être diffusées sur le continent européen, cela nécessite une opération intermédiaire effectuée par un convertisseur électronique pour les rendre compatibles et intelligibles à nos appareils européens. La tendance actuelle (4) est à la vente de postes TV qui fonctionnent selon les deux systèmes (PAL et SECAM) mais, en 1955, ils n'étaient pas encore inventés !

Restait alors la seule solution admissible cadrant réellement avec les faits qui semblent indubitablement établis, à savoir dernière émission du sigle KLEE TV en juillet 1950 et réception à partir de 1953 dans différentes régions de la planète : la récupération par « quelqu'un » du signal KLEE pendant la durée de son émission, son enregistrement, son stockage quelque part pendant plusieurs années et sa réémission en différé, reconverti ou non. Mais dans quel but et par qui ?

Telles sont les questions clés sur lesquelles repose désormais le mystère. Deux possibilités ont été évoquées: les plaisantins et le contact extra-terrestre.

Canular ?
La première - et c'est malheureusement celle à laquelle s’arrêtèrent les autorités, bien embarrassées par cette histoire - ne voit dans l'affaire du message retardé qu'une farce de radio-TV amateur isolé ou non.

Le fait que la réception pirate signalée à Milwaukee ait eu lieu à peu près à la date où les stations TV non professionnelles - locales dirions-nous aujourd'hui - obtenaient l'autorisation d'utiliser les ultra-hautes fréquences (UHF) pour leurs diffusions aux USA, a largement conforté cette idée.

Une diapositive de la mire KLEE TV avait-elle été gardée en souvenir par un opérateur, TV amateur à ses heures, et n'avait-il rien trouvé de plus intelligent que de la réémettre histoire d'enflammer les imaginations de ses contemporains ? La malignité humaine, certes, n'a pas de limites et personne ne peut savoir où elle va se loger. Mais dans ce cas, le jeu en valait-il la chandelle ?

D’autre part, l’idée d’un seul bouc émissaire a été contestée parce qu’il a fallu disposer d'un matériel fort onéreux pour réussir cette tromperie et on voit mal ce qu'elle a pu rapporter à son auteur ; on a parlé d’un groupe anglais (non identifié) qui, à l'époque, aurait tenté ainsi de faire homologuer l'invention d'un système (lequel ?) de transmission TV longue distance. Sinon la satisfaction de constater avec quel sérieux l'affaire fut considérée par les meilleurs spécialistes anglo-saxons en matière de détection de signaux suspects en provenance de l'espace. Surtout s’il s’agissait d'une pub pour la marque KLEE… NEX) !

Il y avait, en effet, encore une autre hypothèse pour expliquer la réception différée du sigle KLEE TV et elle est directement en rapport avec les déclarations de R. Bracewell, rapportées ci-dessus mais fut traitée beaucoup plus confidentiellement.

 Message extraterrestre ?
N'est-ce pas excitant de penser que ce « message TV impossible » ait pu constituer le test psychologique d'intelligence évoqué par l'astronome américain ?

En tout cas, il dénoterait une subtilité de jugement sans égale à celle qui consisterait à nous envoyer « des signaux géométriques » en guise d'examen probatoire de mesure de notre QI. L'absurdité d'un tel retour décalé dans le temps et l'espace, selon les lois communes de la transmission d'images sans fil, serait franchement un moyen génial de jauger le niveau de nos capacités mentales. Ce raisonnement pourrait paraître gratuit si l'on ne savait pas qu'à l'époque où le message KLEE TV fut reçu en Grande Bretagne, un enquêteur américain important fut dépêché sur les lieux.

C'était le Dr Frank Drake, de l'observatoire astronomique de Green Bank et fondateur du projet OZMA, une des premières tentatives élaborées par les Etats Unis dans le dessein de détecter les signaux intelligents émanant de l'espace.

 Le Dr Drake, à l'époque reconnu comme le plus grand expert du monde sur ces questions de contacts interstellaires, fut l'hôte ni plus ni moins du ministère britannique de la Défense. Pour parler, en autre, du mystère KLEE ?

Finalement, le rapport de Frank Drake sur cette affaire, autant qu'on puisse en savoir, conclut à la mystification en une variante de ce qui a été indiqué plus haut. Selon Drake, les auteurs de cette farce seraient « deux hommes d'affaires anglais qui auraient voulu faire croire que les images TV pouvaient traverser l'Atlantique ». A quelle fin ? Cela n'a pas hélas été divulgué.

Bien entendu, jamais personne ne fut informé des éléments qui avaient amené F. Drake (5) à conclure dans ce sens.

De son côté, le projet OZMA fut ajourné sans aucun résultat positif. D'autres opérations similaires furent lancées et elles avortèrent toutes. Le projet SETI - search for extraterrestrial intelligence = recherche d'intelligences extra-terrestres - est toujours en cours, n'ayant encore rien donné à ce jour (2009). Il est de plus en plus contesté dans sa forme plutôt que dans son principe : les extraterrestres ne seraient pas forcément des accrocs de la communication électromagnétique !

N'avons-nous pas reconnu le message contenu implicitement dans le retour vers la Terre de la mire KLEE TV ? Les responsables de cet écho insolite - mais pas unique - basés à quelques années lumière de la Terre, ont-ils placé trop haut la barre d'intelligence susceptible de retenir leur attention (périphrase qui peut cacher des intentions plus inquiétantes) et ainsi, en ont-ils conclu que notre planète est encore sans intérêt pour eux, les créatures y vivant étant incapables d’identifier et de déchiffrer la signification de leur subtil appel ?

C'est une éventualité cocasse qui me plaît énormément et que j'aimerais voir envisager avec le plus grand sérieux même si celle-ci heurte quelque peu notre orgueil d'Homo Sapiens...
                                                          

Notes et références :
1/ Auteur, notamment, de The Galactic Club ; Intelligent Life in Outer Space, Stanford Alumni Association, Stanford, Californie, 1974.

2/ Les chaînes de l’an 2000 diffusent aujourd’hui tant de programmes enregistrés et de rediffusions que l’on ne voit plus guère les « mires ».

3/ Je parle d’un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître ! Quand, par exemple, mon père devait se rendre au fond du jardin de la maison familiale pour modifier l’orientation de l’antenne TV afin que nous puissions continuer à suivre une émission !!

4/ Dans les années 1990.

5/ Frank Drake, consacre 5 pages à l’affaire KLEE dans le chapitre 12 qu’il a écrit pour le livre collectif UFO A Scientific Debate, édité par C. Sagan et T. Page, aux Cornell University Press, Ithaca et Londres, en 1972.

Chapitre sur les « capacités et les limitations des témoins » (sic) des phénomènes ovnis et similaires ! A noter qu’il omet de mentionner son implication personnelle dans l’affaire, ce qui dénote une mentalité disons assez équivoque.






Paru initialement in LE MONDE INCONNU, N°82, avril 1987 (mensuel disparu en 1993).   

Republié en abrégé dans DIMANCHE SAÔNE & LOIRE, 29 juillet 1990.

Dernière mise à jour le 3 décembre 2009.
           
           
                       

                                                                                 







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