lundi 21 mars 2016

La Terre est-elle un zoo cosmique ?



Un jardin zoologique sans grille, une réserve naturelle sans limites puisqu’elle est ronde, avec un immense espace au-dessus qui nous garde cependant prisonniers comme dans une cage sans qu’on s’en rendre compte ? Comme ces parcs animaliers à ciel ouvert où la zone dévolue aux ébats des pensionnaires est entourée par un fossé infranchissable calibré qui surpasse les capacités de ses occupants à s’en échapper ? Cette idée n’est pas de la science fiction mais de la science pure. Elle a été émise il y a 30 ans pour trouver une explication à l’absence des extraterrestres sur Terre, question qui avait été soulevée, en 1943, par le grand physicien Enrico Fermi.


A ses collègues qui tentaient de le persuader qu’une abondance de vie extraterrestre et de civilisations technologiques devait exister, compte tenu de l’infinitude du nombre des autres mondes du cosmos, il avait rétorqué : « OK, mais alors où sont-ils donc, ces extraterrestres, et pourquoi pas sur Terre ? ». Dans son esprit, l’omniprésence de ces créatures étrangères devait faire qu’ils auraient dû être là depuis des lustres sur cette planète laquelle, à ses yeux, n’avait aucune raison de ne pas déjà être colonisée et soumise à un gouvernement galactique.

En fait, la pertinence de cette remarque, appelée « paradoxe de Fermi », plongea la communauté scientifique dans un abîme de réflexion et il fallut attendre plus de 30 ans avant de voir esquissées, autour de 1975, quelques réponses possibles, physiques (problème de distances), sociales et temporelles (il faudrait 650 000 ans pour traverser la galaxie dans un vaisseau à une vitesse du dixième de celle de la lumière).

Parmi les explications « sociales » au paradoxe de Fermi, il y a l’alternative d’une civilisation extraterrestre qui aurait, en des temps immémoriaux, instauré sur la Terre sa  version de nos parcs nationaux, de nos réserves sauvages comme celle des gorilles au Kenya, par exemple.

Pendant 30 ans, cette hypothèse fut considérée comme une aimable supputation, une théorie à n’aborder qu’entre gens avisés car elle tend à rabaisser notre statut de propriétaire terrien à celui de locataire ; plus grave encore, elle nous place dans le bas de l’échelle galactique, au rang des espèces inférieures, sinon en danger, mais à sauvegarder et à maintenir sous stricte surveillance…

Voilà que brusquement cette hypothèse du zoo cosmique se met aujourd'hui à regagner du crédit suite au fait incompréhensible que, depuis près de 50 ans, la recherche d’intelligences extraterrestres (on appelle ça le SETI) n’a pas produit le moindre résultat tangible. Autrement dit, malgré les nombreuses, longues et coûteuses (le Congrès américain a arrêté les frais en 1994 et le tout est passé sous fonds privés) écoutes de signaux électromagnétiques réalisés par les radiotélescopes du monde entier, malgré le programme SETI optique, aucun signal artificiel (une sorte de « coucou, nous sommes là ! ») n’a jamais été détecté au point qu’on se demande « s’il faut encore chercher les extraterrestres ? » (Ciel & Espace novembre 2005).

Du coup, devant le spectre de cette hypothèse avec ses conséquences souvent humiliantes pour notre statut humain - nous pourrions être sous surveillance constante de ceux qui nous regardent pulluler, nous entre-tuer, nous quereller, tenter vainement de nous échapper de notre coquille - pour tous ceux qui n’envisagent pas que nous puissions être seuls dans l’Univers (c'est-à-dire, la plupart des scientifiques et de la population non contaminée par l’idée du créationnisme), on est allé chercher les variantes qui fâchent le moins ; comme, par exemple, celle selon laquelle ce « zoo » ne serait qu’un sanctuaire naturel planétaire, manière de nous avoir mis sous protection en nous protégeant de l’impact des civilisations avancées qui sont sûrement passées depuis longtemps à l’intelligence artificielle et à la robotisation et font peu de cas des créatures protoplasmiques si vulnérables. Ayant ainsi échappé à l’extermination, nous serions l’espèce protégée de la vie naturelle pensante, depuis longtemps ainsi soustraite à l’influence des autres qui ont évolué vers la cybernétisation.  D'où notre isolement. Le saint Graal de ce qui reste de plus pur et de plus « naturel » dans le cosmos - une humanité « bio » gardée artificiellement au stade primaire mais qui conserve son innocence originelle (!), parmi une multitude de supercivilisations sophistiquées et déshumanisées qui n’ont pas le droit d’interférer avec nous sous peine de sanctions terribles.

Une vision tout de même un peu plus valorisante pour nous que celle de Pierre Lagrange, sociologue, s’exprimant dans Ciel & Espace, qui dit que le beau programme enclenché par Copernic – celui par lequel l’homme n’est plus au centre du monde – « tourne au cauchemar métaphysique avec la prise de conscience brutale de notre situation de primate, du fait que nous pourrions être l’ orang-outan de quelque anthropologue dont nous ne sommes pas prêts à comprendre le programme de recherche ». Il vaut mieux être, en effet, un orang-outan protégé qu’un orang-outan mort !

Ainsi l’hypothèse du zoo cosmique pourrait être le dernier refuge pour dire que nous sommes uniques dans l’Univers – mais non prééminents et supérieurs quitte à ne plus voir notre ego autant flatté. Une piètre consolation mais, au moins, une salutaire leçon d’humilité.


Publié dans DIMANCHE S. & L. du 29 janvier 2006 et UFOMANIA Magazine de mars 2006.




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