La Terre est-elle un zoo cosmique ?
Un jardin
zoologique sans grille, une réserve naturelle sans limites puisqu’elle est
ronde, avec un immense espace au-dessus qui nous garde cependant prisonniers comme
dans une cage sans qu’on s’en rendre compte ? Comme ces parcs animaliers à
ciel ouvert où la zone dévolue aux ébats des pensionnaires est entourée par un
fossé infranchissable calibré qui surpasse les capacités de ses occupants à
s’en échapper ? Cette idée n’est pas de la science fiction mais de la
science pure. Elle a été émise il y a 30 ans pour trouver une explication à
l’absence des extraterrestres sur Terre, question qui avait été soulevée, en
1943, par le grand physicien Enrico Fermi.
A ses collègues qui tentaient de le persuader qu’une
abondance de vie extraterrestre et de civilisations technologiques devait exister,
compte tenu de l’infinitude du nombre des autres mondes du cosmos, il avait
rétorqué : « OK, mais alors où sont-ils donc, ces extraterrestres, et
pourquoi pas sur Terre ? ». Dans son esprit, l’omniprésence de ces créatures
étrangères devait faire qu’ils auraient dû être là depuis des lustres sur cette
planète laquelle, à ses yeux, n’avait aucune raison de ne pas déjà être
colonisée et soumise à un gouvernement galactique.
En
fait, la pertinence de cette remarque, appelée « paradoxe de Fermi »,
plongea la communauté scientifique dans un abîme de réflexion et il fallut
attendre plus de 30 ans avant de voir esquissées, autour de 1975, quelques
réponses possibles, physiques (problème de distances), sociales et temporelles
(il faudrait 650 000 ans pour traverser la galaxie dans un vaisseau à une
vitesse du dixième de celle de la lumière).
Parmi les explications « sociales » au paradoxe
de Fermi, il y a l’alternative d’une civilisation extraterrestre qui aurait, en
des temps immémoriaux, instauré sur la
Terre sa version de
nos parcs nationaux, de nos réserves sauvages comme celle des gorilles au
Kenya, par exemple.
Pendant
30 ans, cette hypothèse fut considérée comme une aimable supputation, une
théorie à n’aborder qu’entre gens avisés car elle tend à rabaisser notre statut
de propriétaire terrien à celui de locataire ; plus grave encore, elle
nous place dans le bas de l’échelle galactique, au rang des espèces inférieures,
sinon en danger, mais à sauvegarder et à maintenir sous stricte surveillance…
Voilà
que brusquement cette hypothèse du zoo cosmique se met aujourd'hui à regagner
du crédit suite au fait incompréhensible que, depuis près de 50 ans, la
recherche d’intelligences extraterrestres (on appelle ça le SETI) n’a pas
produit le moindre résultat tangible. Autrement dit, malgré les nombreuses,
longues et coûteuses (le Congrès américain a arrêté les frais en 1994 et le
tout est passé sous fonds privés) écoutes de signaux électromagnétiques
réalisés par les radiotélescopes du monde entier, malgré le programme SETI
optique, aucun signal artificiel (une sorte de « coucou, nous sommes
là ! ») n’a jamais été détecté au point qu’on se demande « s’il faut
encore chercher les extraterrestres ? » (Ciel & Espace
novembre 2005).
Du
coup, devant le spectre de cette hypothèse avec ses conséquences souvent
humiliantes pour notre statut humain - nous pourrions
être sous surveillance constante de ceux qui nous regardent pulluler, nous entre-tuer, nous quereller, tenter vainement de nous échapper de notre coquille
- pour tous ceux qui
n’envisagent pas que nous puissions être seuls dans l’Univers (c'est-à-dire, la
plupart des scientifiques et de la population non contaminée par l’idée du
créationnisme), on est allé chercher les variantes qui fâchent le moins ;
comme, par exemple, celle selon laquelle ce « zoo » ne serait qu’un
sanctuaire naturel planétaire, manière de nous avoir mis sous protection en
nous protégeant de l’impact des civilisations avancées qui sont sûrement passées
depuis longtemps à l’intelligence artificielle et à la robotisation et font peu
de cas des créatures protoplasmiques si vulnérables. Ayant ainsi échappé à
l’extermination, nous serions l’espèce protégée de la vie naturelle pensante, depuis
longtemps ainsi soustraite à l’influence des autres qui ont évolué vers la
cybernétisation. D'où notre isolement. Le
saint Graal de ce qui reste de plus pur et de plus « naturel » dans
le cosmos - une humanité « bio » gardée artificiellement au stade
primaire mais qui conserve son innocence originelle (!), parmi une multitude de
supercivilisations sophistiquées et déshumanisées qui n’ont pas le droit
d’interférer avec nous sous peine de sanctions terribles.
Une
vision tout de même un peu plus valorisante pour nous que celle de Pierre
Lagrange, sociologue, s’exprimant dans Ciel & Espace, qui dit
que le beau programme enclenché par Copernic – celui par lequel l’homme n’est
plus au centre du monde – « tourne au cauchemar métaphysique avec la prise
de conscience brutale de notre situation de primate, du fait que nous pourrions
être l’ orang-outan de quelque
anthropologue dont nous ne sommes pas prêts à comprendre le programme de
recherche ». Il vaut mieux être, en effet, un orang-outan protégé qu’un
orang-outan mort !
Ainsi
l’hypothèse du zoo cosmique pourrait être le dernier refuge pour dire que nous
sommes uniques dans l’Univers – mais non prééminents et supérieurs quitte à ne
plus voir notre ego autant flatté. Une piètre consolation mais, au moins, une
salutaire leçon d’humilité.
Publié dans DIMANCHE S. & L. du 29
janvier 2006 et UFOMANIA Magazine de mars 2006.
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