L’ « expérience » de Travis Walton
Cette histoire d’enlèvement par des extraterrestres à
l’allure « fœtale », aux grands yeux luisants, « sans sourcils ni
cils », muets, vêtus de combinaisons oranges, est celle qui, selon l’encyclopédiste
des ovnis Jerome Clark, a généré le plus de controverse Outre Atlantique.
Aujourd’hui, après 35 ans et 3
livres plus un film qui lui ont été consacrés, elle
continue de faire l’objet d’une âpre dispute ; entre ceux qui y voient
toujours un des premiers « classiques » dans le genre et les autres
soupçonneux d’une « ruse élaborée » sans qu’aucune preuve n’en soit
venue corroborer leurs doutes.
Le
théâtre de l’affaire en est le parc national protégé dit de Apache-Sitgreaves, à 25 km au sud de la ville de
Heber, au centre Est de l’Arizona en territoire indien – une zone forestière surélevée
par rapport à celle du désert qui lui donne un climat plutôt frais ; en
été la température n’y dépasse que rarement 25 ° C ; une zone de broussailles
peuplée d’arbres dont les troncs de moins de 15 cm de diamètre doivent
être éliminés pour permettre aux plus gros de mieux se développer.
Cette
tâche de coupes d’éclaircie est confiée à des travailleurs privés par le
service des forêts US qui travaillent sur contrat et sont payés à l’heure.
Justement, en ce mercredi 5 novembre 1975, une équipe de sept bûcherons un peu
spéciaux œuvre dans le lieu-dit Turkey Springs ; ils ont une surface de 50 hectares à éclaircir
à proximité de la petite ville mormone de Snowflake où ils habitent tous.
Le travail
est rude. Les hommes équipés de tronçonneuses sont divisés en deux
équipes : une qui coupe et l’autre qui rassemble, entasse, et ce, alternativement.
La journée est ponctuée de deux breaks pour se reposer et se restaurer. Il est
18 h, le chef de l’équipe signale d’un coup de klaxon, la fin de l’activité.
Tous ces jeunes gaillards – leur âge varie de 17 à 28 ans - bien qu’habitués à
ce travail pénible sont fatigués et contents d’en terminer. Ils rejoignent le
pick-up cabossé de marque International, leur moyen de transport collectif,
déposent leur scie sur la plate-forme et s’entassent dans l’habitacle où
ils allument une cigarette ; ils ont hâte de rentrer chez eux et d’y goûter qui
la piscine, qui la salle de sport…
A peine ont-ils parcouru 200 m sur le sol cahotant du
chemin que, tout à coup, l’un des occupants des sièges avant remarque à travers
les arbres, et à la faveur de la nuit tombante, « une lueur
brillante », jaunâtre, droit devant eux. L’un des passagers du pick-up
évoque un crash d’avion possible… Comme ils continuent d’avancer, la lumière
semble perdre de l’altitude et une éclaircie dans les branches à 30 à 40 m leur permet de voir plus
clairement ce qui apparaît être « comme une structure » en suspension
5 à 6 mètres
au-dessus d’un bouquet d’arbres bas laquelle projette au sol un halo de lumière
laiteuse.
La
« structure », éloignée d’une trentaine de mètres, est immobile et
silencieuse. Elle mesure de 6 à 7 mètres de long et 3 de haut : c’est un
disque aplati décrit comme « deux moules à tarte placés bord à bord »
avec au sommet un petit bol retourné (dôme). Le tout est rayé de bandes
verticales argentées plus larges que hautes. Un anneau protubérant au milieu en
fait le tour. Pas d’antenne, ni de hublot.
Le chef d’équipe,
conducteur de la camionnette, a obéi à l’injonction d’un de ses ouvriers qui a
crié : « Arrête ! Arrête le camion ! » Tous sont
pétrifiés par la stupéfaction et ils se font petits dans la cabine ; sauf
Travis Walton, 22 ans, qui occupe le siège extrême passager à l’avant. Contre
toute attente, il ouvre la porte, sort du véhicule et s’avance en direction de
l’objet volant. Il expliquera qu’il a obéi à une pulsion lui indiquant que
« c’était la chance de sa vie ».
Mais
comme il s’approche, les mains dans les poches, parcourant 15 à 20 m , l’engin commence à
émettre un drôle de bruit « mécanique » : il dira que ça
ressemble à celui d’une turbine génératrice… L’ovni commence à vibrer et de
plus en plus fort au point d’obliger Travis à se cacher craintivement derrière
un buisson. Quand il se retourne vers le camion là où les autres lui crient
« Travis, revient !», il n’obtempère pas, persistant à vouloir aller
voir « s’il y a quelque chose là dedans » ; il se remet en
marche, pénètre sous le halo lumineux et, soudain, sent « un choc
engourdissant », comme une électrocution par un haut voltage ; dans
sa tête, dans sa poitrine, dans son corps tout entier. Il vient d’être frappé
par un rayon bleuâtre qui le projette à 3 mètres en l’air, bras
écartés. Il hurle …
Le chef d’équipe
paniqué a laissé le moteur du pick-up en marche ; son réflexe est tout d’abord
la fuite au lieu de porter secours à l’infortuné comme le suggèrent deux autres
des camarades de Travis… Mais puisque l’ovni a disparu, le ciel est redevenu vide
et tranquille, la raison lui revient et il retourne à l’endroit névralgique où tous
vont effectuer une recherche de Travis à la lumière des phares de la
camionnette, pendant une vingtaine de minutes sans succès. Malgré leurs appels,
ils ne parviennent pas à le localiser. Travis a disparu ; est-ce l’ovni
qui l’a emporté ?
De guerre
lasse, ils regagnent Heber là où, à 19 h 35, le shérif du comté Navajo reçoit
un coup de fil d’un des bûcherons ; au début, il ne croit pas une seconde
à ce qu’on lui raconte… à savoir un bûcheron enlevé par un ovni ! Mais
finalement il se force à rejoindre les ouvriers forestiers dans un centre
commercial et les trouve très excités. Un autre shérif appelé accepte de les
accompagner en pleine nuit à nouveau sur les lieux de l’accident. Ils ne trouvent
aucune empreinte au sol jonché d’aiguilles de pin. Pas une branche cassée, pas
de trace d’ignition au sol. Cette frénésie à agir après la disparition d’un des
leurs d’ailleurs ne milite guère en leur faveur bien qu’elle puisse être dictée
par le fait qu’un homme, si peu habillé comme l’est Travis, risque de mourir de
froid dans le bois en cette saison froide.
En fait, ces
tergiversations des autorités à lancer une alerte proviennent de ce que, dans
le rude milieu des bûcherons employés par le service américain des forêts, ce n’est
pas usuel de plaisanter avec les ovnis ; et, sous l’impulsion de quelques
officiels soupçonneux, l’enquête s’oriente plutôt vers l’hypothèse d’un meurtre
sinistre, suite à une querelle, qu’on tenterait ainsi de « couvrir »,
de déguiser en cet épisode rocambolesque.
Durant la
nuit, la famille de Travis est informée de sa disparition ; elle prend l’affaire
très au sérieux : son frère arrive à Heber depuis Phoenix à 3 h du matin.
Sa mère, elle, semble moins inquiète, ce qui amènera certains à s’en étonner.
Il n’empêche
que le lendemain, une véritable chasse à l’homme est organisée sur la zone de
la disparition dès 7 h avec un hélicoptère, des cavaliers à cheval, des jeeps 4
x 4. Pendant ce temps, des hordes de reporters affluent à Heber car les shérifs
n’ont pas pu tenir leur langue…
Une
grande confusion va régner pendant plusieurs jours sous l’impulsion des
collègues de Travis, de ses frères et des associations ufologiques : GSW
(Ground Saucer Watch), APRO (association ufologique
florissante à l’époque)… Le 10 novembre l’équipe de bûcherons subit son premier
test au détecteur de mensonge (type polygraphe) à Holbrook, ville voisine, qui
conclut que les 6 hommes sont honnêtes quand ils répondent NON aux
questions : 1/ n’avez-vous pas porté atteinte à l’intégrité physique de
votre collègue en ce mercredi après-midi ? 2/ savez-vous si Walton a été blessé
mercredi par quelqu’un de votre équipe ? 3/ savez-vous si le corps de
Walton a été enterré ou caché dans la zone de Turkey Springs ? et OUI à
celle : dites-vous la vérité quand vous affirmez avoir réellement vu un
ovni quand Walton a disparu ?
Suite à
cela, le shérif maintenant convaincu déclarera : « Il n’y a aucun
doute qu’ils disent la vérité. »
Or, ce
même soir, le téléphone sonne à Taylor, petite ville située à 3-4 km de Snowflake et à 45 km de Heber. Il est minuit
5. C’est le beau-frère de Travis qui décroche et il entend la voix confuse et
faible de ce dernier dire que c’est lui qui téléphone d’une station service de
Heber et qu’il a besoin d’aide. « Venez me chercher ! » « Ils
m’ont ramené ! », rapportera-t-il avoir prononcé. Il affirmera avoir
tenté de joindre d’autres membres de sa famille auparavant, sans succès.
Le mari
de la sœur de Travis, Neff, croit tout d’abord lui aussi à un canular. Mais la
voix demande de l’aide. Travis est retrouvé 5 jours et 6 h après sa disparition
dans les conditions qu’on a vu décrites par ses collègues dans la forêt de
Turkey Springs. Il est conscient mais sous le choc. Exhibe une barbe de 5 jours,
est déshydraté, affamé et semble avoir perdu 5 kilos. Mais il est en bonne
forme générale. Il croit avoir été absent quelques heures seulement !
Sur le
chemin du retour, il parle vaguement d’une rencontre avec des créatures à la
peau pâle et aux grands yeux terribles qui l’ont terrifié. Il en tremble
encore. Rendu chez sa mère, il prend un bain et boit une grande quantité d’eau.
Il ne veut pas voir la police, mais un médecin.
Or, en
Amérique, les frais médicaux sont payants. Le tabloïd National Enquirer a déjà
fait une proposition à sa famille pour avoir l’exclusivité de son histoire ;
lui revenu, tous ces frais seront payés par l’hebdomadaire. Ainsi, Travis va se
retrouver effectivement dès le 11 novembre (après une nuit de sommeil peuplée
de cauchemars) dans un hôpital où les analyses physiologiques montrent que sa
santé est bonne à quelques détails près.
Les examens
médicaux mettent en évidence, outre son état général jugé plutôt meilleur que
ce qu’on peut attendre d’un individu ayant passé 5 nuits à la belle étoile par
une température nettement au-dessous de zéro, quelques petites anomalies :
pas de meurtrissures sur son corps suite aux effets du rayon et sa retombée au
sol, un taux d’acétone dans l’urine incompatible avec un jeûne de 5 jours et,
les traces de deux piqûres à l’épaule droite que certains attribueront à un
voyage, non pas dans l’espace, mais dans les brumes du LSD. Une accusation qui
ne sera jamais confirmée. Certains sceptiques s’y accrocheront longtemps comme
l’ufologue James Moseley qui, « revisitant » dernièrement (août
2010) le cas Walton, opte nettement en faveur d’une « acid party »,
qui n’a plus tout à fait le même sens aujourd’hui, plutôt qu’un enlèvement ET.
Travis avait consommé de la drogue avant l’incident et avait arrêté depuis deux
ans.
Le 14
novembre, nouveau test au polygraphe demandé surtout par le National
Enquirer qui pense qu’un résultat positif « boosterait l’impact de
cette histoire ». Et aussi, un nouvel essai de régression.
Au plus
loin dans le passé qu’il ait pu être régressé, Travis se vit couché sur une
table, dans une pièce style salle d’opération flanqué de trois créatures (une à
droite, deux à gauche) dont il réalise avec choc que ce ne sont pas des êtres
humains : elles sont petites (1,65 m ), avec de grosses têtes chauves, des
gros yeux au regard transperçant « à donner la chair de poule », pas
de cils, pas de sourcils, des paupières énormes, une peu blanche comme de la
guimauve. Elles portent une combinaison orange foncé, aspect daim, collante qui
les moule sans couture. A leurs doigts, pas d’ongle. Travis pense que cette
« chambre » se trouve dans un vaisseau volant.
L’homme casqué
le pousse dans une autre pièce ; il y trouve deux hommes et une femme sans
casque en bleu eux aussi. « Quelqu’un peut-il me dire où je suis ? »,
interroge-t-il sans obtenir la moindre réponse. Les autres le regardent avec
une expression aimable et l’entraînent vers une autre pièce où il y a une
table. La femme tient une sorte de masque à oxygène relié à un tuyau qu’elle
lui place sur le nez… Il perd conscience et c’est juste après qu’il se retrouve
sur la route à une quinzaine de kilomètres de l’endroit d’où il est parti touché
par le rayon bleu, couché sur le dos sur la route. Quelque chose au-dessus de
lui disparaît rapidement.
L’enquête
ufologique initiée déjà par A. J. Hynek durant la disparition de Travis (il vint
interroger la famille Walton et adopta une position méfiante vis-à-vis de la
« rencontre ») sera longue et contradictoire mais, il faut le
souligner, elle n’aboutit pas à ranger l’affaire Walton dans la catégorie des
canulars ; malgré des interrogatoires croisés des témoins, l’emploi du
fameux polygraphe (détecteur de mensonge qui prouva que Travis disait la vérité
ou, du moins, « croyait la dire »), les témoignages de l’intéressé et
de ses collègues de travail ne varièrent ni se contredirent ; ainsi ne
fut-il pas prouvé que le bûcheron enlevé avait inventé son histoire. Avait-il
souffert d’une inflammation de l’imagination et d’une amnésie (psychose
transitoire), comme certains le suggérèrent ? Les points suspects furent
le fait que sa famille n’avait pas cru un instant qu’il ne leur serait pas rendu
sain et sauf (son frère aurait affirmé durant son absence : « Travis
sera retrouvé ; les ovnis sont amicaux »), que sa mère n’avait pas
montré une émotion bien grande en apprenant sa disparition et que les Walton se
sont toujours opposé à toute investigation véritablement scientifique.
Travis
Walton demeure une figure incontournable de l’ufologie non plus
observationnelle mais basée sur l’hypothèse d’enlèvement de cobayes humains par
les extraterrestres à des fins indéterminées. Son récit jamais démenti est
considéré comme « fondateur » à cet égard car il
« anticipe » de nombreux autres cas d’expériences similaires relatées
depuis 1975.
Arguments pour
et contre et possibilités de confusion.
Pour : l’empressement des collègues de Travis à
organiser des recherches plus poussées pour le retrouver, notamment avec l’aide
de chiens, ce qui ne
sera jamais fait. Leur participation aux recherches qui firent que pendant 5
jours le travail en forêt ne se fit pas, obligeant à une rupture du contrat
avec les instances forestières. Cet argument fut même distordu en son contraire
quant à sa signification quand on apprit que le chef d’équipe obtint, plus
tard, un autre contrat et reprit le même travail avec 2 machines et moins d’hommes
dont, cependant, Travis Walton, réembauché (il avait perdu son emploi suite à l’incident).
A mon avis, ce prolongement va plutôt en faveur de la sincérité des témoins
oculaires de l’épisode qui, en cas de collusion, n’auraient certainement pas
manqué de dénoncer l’imposture ; ce qu’ils n’ont jamais fait.
Contre : ce qui a surtout posé problème
dans cette affaire c’est le manque de traces physiques sur la victime de l’enlèvement
violent auquel Travis fut soumis au moment de l’éclair qui l’a touché et au
moment de sa restitution ; lui-même raconta qu’il avait heurté durement le
sol rocheux. Cette absence de contusions sera mise sur sa
robustesse de Travis en tant qu’ancien boxeur amateur !
Confusion : la région de l’Arizona est
souvent sujette à des feux de forêts imputables à la foudre même en
novembre ; mais il s’agit de foyers généralement allumés en septembre,
comme en 2009. Et aucun ne fut signalé dans les parages de cette région de
Turkey Springs en 1975 : ni orage, ni incendie.
Très tardivement est venue se
greffer sur cette affaire une possibilité de manœuvre de l’US Air Force avec des
hélicoptères munis de phares dans la région à cette même époque (Moseley).
Pourquoi n’en a-t-on pas parlé avant ?
Publié dans LE MONDE DE L’INCONNU, n°348,
Février-Mars 2011.
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