jeudi 7 décembre 2017



L’ « expérience » de Travis Walton




Cette histoire d’enlèvement par des extraterrestres à l’allure « fœtale », aux grands yeux luisants, « sans sourcils ni cils », muets, vêtus de combinaisons oranges, est celle qui, selon l’encyclopédiste des ovnis Jerome Clark, a généré le plus de controverse Outre Atlantique. Aujourd’hui, après 35 ans et 3 livres plus un film qui lui ont été consacrés, elle continue de faire l’objet d’une âpre dispute ; entre ceux qui y voient toujours un des premiers « classiques » dans le genre et les autres soupçonneux d’une « ruse élaborée » sans qu’aucune preuve n’en soit venue corroborer leurs doutes.

Le théâtre de l’affaire en est le parc national protégé dit de Apache-Sitgreaves, à 25 km au sud de la ville de Heber, au centre Est de l’Arizona en territoire indien – une zone forestière surélevée par rapport à celle du désert qui lui donne un climat plutôt frais ; en été la température n’y dépasse que rarement 25 ° C ; une zone de broussailles peuplée d’arbres dont les troncs de moins de 15 cm de diamètre doivent être éliminés pour permettre aux plus gros de mieux se développer.

Cette tâche de coupes d’éclaircie est confiée à des travailleurs privés par le service des forêts US qui travaillent sur contrat et sont payés à l’heure. Justement, en ce mercredi 5 novembre 1975, une équipe de sept bûcherons un peu spéciaux œuvre dans le lieu-dit Turkey Springs ; ils ont une surface de 50 hectares à éclaircir à proximité de la petite ville mormone de Snowflake où ils habitent tous.

Le travail est rude. Les hommes équipés de tronçonneuses sont divisés en deux équipes : une qui coupe et l’autre qui rassemble, entasse, et ce, alternativement. La journée est ponctuée de deux breaks pour se reposer et se restaurer. Il est 18 h, le chef de l’équipe signale d’un coup de klaxon, la fin de l’activité. Tous ces jeunes gaillards – leur âge varie de 17 à 28 ans - bien qu’habitués à ce travail pénible sont fatigués et contents d’en terminer. Ils rejoignent le pick-up cabossé de marque International, leur moyen de transport collectif, déposent leur scie sur la plate-forme et s’entassent dans l’habitacle où ils allument une cigarette ; ils ont hâte de rentrer chez eux et d’y goûter qui la piscine, qui la salle de sport…

A peine ont-ils parcouru 200 m sur le sol cahotant du chemin que, tout à coup, l’un des occupants des sièges avant remarque à travers les arbres, et à la faveur de la nuit tombante, « une lueur brillante », jaunâtre, droit devant eux. L’un des passagers du pick-up évoque un crash d’avion possible… Comme ils continuent d’avancer, la lumière semble perdre de l’altitude et une éclaircie dans les branches à 30 à 40 m leur permet de voir plus clairement ce qui apparaît être « comme une structure » en suspension 5 à 6 mètres au-dessus d’un bouquet d’arbres bas laquelle projette au sol un halo de lumière laiteuse.

L’ovni tel que figuré dans la version 1996 
de Fire in the Sky. The Walton Experience.
La « structure », éloignée d’une trentaine de mètres, est immobile et silencieuse. Elle mesure de 6 à 7 mètres de long et 3 de haut : c’est un disque aplati décrit comme « deux moules à tarte placés bord à bord » avec au sommet un petit bol retourné (dôme). Le tout est rayé de bandes verticales argentées plus larges que hautes. Un anneau protubérant au milieu en fait le tour. Pas d’antenne, ni de hublot.

Le chef d’équipe, conducteur de la camionnette, a obéi à l’injonction d’un de ses ouvriers qui a crié : « Arrête ! Arrête le camion ! » Tous sont pétrifiés par la stupéfaction et ils se font petits dans la cabine ; sauf Travis Walton, 22 ans, qui occupe le siège extrême passager à l’avant. Contre toute attente, il ouvre la porte, sort du véhicule et s’avance en direction de l’objet volant. Il expliquera qu’il a obéi à une pulsion lui indiquant que « c’était la chance de sa vie ».

Mais comme il s’approche, les mains dans les poches, parcourant 15 à 20 m, l’engin commence à émettre un drôle de bruit « mécanique » : il dira que ça ressemble à celui d’une turbine génératrice… L’ovni commence à vibrer et de plus en plus fort au point d’obliger Travis à se cacher craintivement derrière un buisson. Quand il se retourne vers le camion là où les autres lui crient « Travis, revient !», il n’obtempère pas, persistant à vouloir aller voir « s’il y a quelque chose là dedans » ; il se remet en marche, pénètre sous le halo lumineux et, soudain, sent « un choc engourdissant », comme une électrocution par un haut voltage ; dans sa tête, dans sa poitrine, dans son corps tout entier. Il vient d’être frappé par un rayon bleuâtre qui le projette à 3 mètres en l’air, bras écartés. Il hurle …

Le chef d’équipe paniqué a laissé le moteur du pick-up en marche ; son réflexe est tout d’abord la fuite au lieu de porter secours à l’infortuné comme le suggèrent deux autres des camarades de Travis… Mais puisque l’ovni a disparu, le ciel est redevenu vide et tranquille, la raison lui revient et il retourne à l’endroit névralgique où tous vont effectuer une recherche de Travis à la lumière des phares de la camionnette, pendant une vingtaine de minutes sans succès. Malgré leurs appels, ils ne parviennent pas à le localiser. Travis a disparu ; est-ce l’ovni qui l’a emporté ?

De guerre lasse, ils regagnent Heber là où, à 19 h 35, le shérif du comté Navajo reçoit un coup de fil d’un des bûcherons ; au début, il ne croit pas une seconde à ce qu’on lui raconte… à savoir un bûcheron enlevé par un ovni ! Mais finalement il se force à rejoindre les ouvriers forestiers dans un centre commercial et les trouve très excités. Un autre shérif appelé accepte de les accompagner en pleine nuit à nouveau sur les lieux de l’accident. Ils ne trouvent aucune empreinte au sol jonché d’aiguilles de pin. Pas une branche cassée, pas de trace d’ignition au sol. Cette frénésie à agir après la disparition d’un des leurs d’ailleurs ne milite guère en leur faveur bien qu’elle puisse être dictée par le fait qu’un homme, si peu habillé comme l’est Travis, risque de mourir de froid dans le bois en cette saison froide.

En fait, ces tergiversations des autorités à lancer une alerte proviennent de ce que, dans le rude milieu des bûcherons employés par le service américain des forêts, ce n’est pas usuel de plaisanter avec les ovnis ; et, sous l’impulsion de quelques officiels soupçonneux, l’enquête s’oriente plutôt vers l’hypothèse d’un meurtre sinistre, suite à une querelle, qu’on tenterait ainsi de « couvrir », de déguiser en cet épisode rocambolesque.

Durant la nuit, la famille de Travis est informée de sa disparition ; elle prend l’affaire très au sérieux : son frère arrive à Heber depuis Phoenix à 3 h du matin. Sa mère, elle, semble moins inquiète, ce qui amènera certains à s’en étonner.

Il n’empêche que le lendemain, une véritable chasse à l’homme est organisée sur la zone de la disparition dès 7 h avec un hélicoptère, des cavaliers à cheval, des jeeps 4 x 4. Pendant ce temps, des hordes de reporters affluent à Heber car les shérifs n’ont pas pu tenir leur langue…

Une grande confusion va régner pendant plusieurs jours sous l’impulsion des collègues de Travis, de ses frères et des associations ufologiques : GSW (Ground Saucer Watch), APRO (association ufologique florissante à l’époque)… Le 10 novembre l’équipe de bûcherons subit son premier test au détecteur de mensonge (type polygraphe) à Holbrook, ville voisine, qui conclut que les 6 hommes sont honnêtes quand ils répondent NON aux questions : 1/ n’avez-vous pas porté atteinte à l’intégrité physique de votre collègue en ce mercredi après-midi ? 2/ savez-vous si Walton a été blessé mercredi par quelqu’un de votre équipe ? 3/ savez-vous si le corps de Walton a été enterré ou caché dans la zone de Turkey Springs ? et OUI à celle : dites-vous la vérité quand vous affirmez avoir réellement vu un ovni quand Walton a disparu ?

Suite à cela, le shérif maintenant convaincu déclarera : « Il n’y a aucun doute qu’ils disent la vérité. »

Or, ce même soir, le téléphone sonne à Taylor, petite ville située à 3-4 km de Snowflake et à 45 km de Heber. Il est minuit 5. C’est le beau-frère de Travis qui décroche et il entend la voix confuse et faible de ce dernier dire que c’est lui qui téléphone d’une station service de Heber et qu’il a besoin d’aide. « Venez me chercher ! » « Ils m’ont ramené ! », rapportera-t-il avoir prononcé. Il affirmera avoir tenté de joindre d’autres membres de sa famille auparavant, sans succès.

Le mari de la sœur de Travis, Neff, croit tout d’abord lui aussi à un canular. Mais la voix demande de l’aide. Travis est retrouvé 5 jours et 6 h après sa disparition dans les conditions qu’on a vu décrites par ses collègues dans la forêt de Turkey Springs. Il est conscient mais sous le choc. Exhibe une barbe de 5 jours, est déshydraté, affamé et semble avoir perdu 5 kilos. Mais il est en bonne forme générale. Il croit avoir été absent quelques heures seulement !

Sur le chemin du retour, il parle vaguement d’une rencontre avec des créatures à la peau pâle et aux grands yeux terribles qui l’ont terrifié. Il en tremble encore. Rendu chez sa mère, il prend un bain et boit une grande quantité d’eau. Il ne veut pas voir la police, mais un médecin.

Or, en Amérique, les frais médicaux sont payants. Le tabloïd National Enquirer a déjà fait une proposition à sa famille pour avoir l’exclusivité de son histoire ; lui revenu, tous ces frais seront payés par l’hebdomadaire. Ainsi, Travis va se retrouver effectivement dès le 11 novembre (après une nuit de sommeil peuplée de cauchemars) dans un hôpital où les analyses physiologiques montrent que sa santé est bonne à quelques détails près.

Les examens médicaux mettent en évidence, outre son état général jugé plutôt meilleur que ce qu’on peut attendre d’un individu ayant passé 5 nuits à la belle étoile par une température nettement au-dessous de zéro, quelques petites anomalies : pas de meurtrissures sur son corps suite aux effets du rayon et sa retombée au sol, un taux d’acétone dans l’urine incompatible avec un jeûne de 5 jours et, les traces de deux piqûres à l’épaule droite que certains attribueront à un voyage, non pas dans l’espace, mais dans les brumes du LSD. Une accusation qui ne sera jamais confirmée. Certains sceptiques s’y accrocheront longtemps comme l’ufologue James Moseley qui, « revisitant » dernièrement (août 2010) le cas Walton, opte nettement en faveur d’une « acid party », qui n’a plus tout à fait le même sens aujourd’hui, plutôt qu’un enlèvement ET. Travis avait consommé de la drogue avant l’incident et avait arrêté depuis deux ans.

Mais Travis, malgré son hostilité envers certains tiers s’intéressant à son histoire, est déjà une vedette aux mains des médias et des associations ufologiques locales qui veulent le soumettre à la régression hypnotique pour réveiller des souvenirs occultés. En fait, il pense qu’il est resté une heure à une heure et demie « capturé » Le premier hypnothérapeute constatera un blocage mental quand on le régresse au delà de 2 heures après son « retour ». Donc l’histoire de la rencontre de Travis en restera presque à ce qui lui reste comme souvenirs conscients même après plusieurs tentatives de régression hypnotiques avortées. Il écrira deux livres sur son expérience, le premier en 1978 et l’autre en 1996 « pour son effet thérapeutique ».

Le 14 novembre, nouveau test au polygraphe demandé surtout par le National Enquirer qui pense qu’un résultat positif « boosterait l’impact de cette histoire ». Et aussi, un nouvel essai de régression.

Au plus loin dans le passé qu’il ait pu être régressé, Travis se vit couché sur une table, dans une pièce style salle d’opération flanqué de trois créatures (une à droite, deux à gauche) dont il réalise avec choc que ce ne sont pas des êtres humains : elles sont petites (1,65 m), avec de grosses têtes chauves, des gros yeux au regard transperçant « à donner la chair de poule », pas de cils, pas de sourcils, des paupières énormes, une peu blanche comme de la guimauve. Elles portent une combinaison orange foncé, aspect daim, collante qui les moule sans couture. A leurs doigts, pas d’ongle. Travis pense que cette « chambre » se trouve dans un vaisseau volant.

Travis se croit prisonnier mais il peut descendre de la table ; il se sent peu solide sur ses jambes mais n’hésite pas à bousculer ses ravisseurs pour s’enfuir. Ils se laissent faire et ne répondent pas à ses questions (bouche immobile), ni à ses provocations, refusant d’engager le dialogue, silence dans lequel ils se cantonneront tout au long de l’expérience. D’ailleurs, ils disparaissent par une porte laissant Travis libre de visiter les locaux pour aboutir, après passage dans ce qui ressemble à un planétarium avec, au beau milieu, siège orientable, à une nouvelle porte; il l’ouvre et se trouve confronté à un être cette fois humain pas plus bavard (type caucasien, musculeux, il a un casque sur la tête et est vêtu d’un uniforme bleu) qui l’entraîne aimablement dans une sorte de hangar où se trouvent plusieurs vaisseaux du type de celui observé au-dessus de la forêt : deux de même taille et un plus gros (20 m de long, 5 de haut).

L’homme casqué le pousse dans une autre pièce ; il y trouve deux hommes et une femme sans casque en bleu eux aussi. « Quelqu’un peut-il me dire où je suis ? », interroge-t-il sans obtenir la moindre réponse. Les autres le regardent avec une expression aimable et l’entraînent vers une autre pièce où il y a une table. La femme tient une sorte de masque à oxygène relié à un tuyau qu’elle lui place sur le nez… Il perd conscience et c’est juste après qu’il se retrouve sur la route à une quinzaine de kilomètres de l’endroit d’où il est parti touché par le rayon bleu, couché sur le dos sur la route. Quelque chose au-dessus de lui disparaît rapidement.

L’enquête ufologique initiée déjà par A. J. Hynek durant la disparition de Travis (il vint interroger la famille Walton et adopta une position méfiante vis-à-vis de la « rencontre ») sera longue et contradictoire mais, il faut le souligner, elle n’aboutit pas à ranger l’affaire Walton dans la catégorie des canulars ; malgré des interrogatoires croisés des témoins, l’emploi du fameux polygraphe (détecteur de mensonge qui prouva que Travis disait la vérité ou, du moins, « croyait la dire »), les témoignages de l’intéressé et de ses collègues de travail ne varièrent ni se contredirent ; ainsi ne fut-il pas prouvé que le bûcheron enlevé avait inventé son histoire. Avait-il souffert d’une inflammation de l’imagination et d’une amnésie (psychose transitoire), comme certains le suggérèrent ? Les points suspects furent le fait que sa famille n’avait pas cru un instant qu’il ne leur serait pas rendu sain et sauf (son frère aurait affirmé durant son absence : « Travis sera retrouvé ; les ovnis sont amicaux »), que sa mère n’avait pas montré une émotion bien grande en apprenant sa disparition et que les Walton se sont toujours opposé à toute investigation véritablement scientifique.

Travis Walton demeure une figure incontournable de l’ufologie non plus observationnelle mais basée sur l’hypothèse d’enlèvement de cobayes humains par les extraterrestres à des fins indéterminées. Son récit jamais démenti est considéré comme « fondateur » à cet égard car il « anticipe » de nombreux autres cas d’expériences similaires relatées depuis 1975.

Arguments pour et contre et possibilités de confusion.

Pour : l’empressement des collègues de Travis à organiser des recherches plus poussées pour le retrouver, notamment avec l’aide de chiens, ce qui ne sera jamais fait. Leur participation aux recherches qui firent que pendant 5 jours le travail en forêt ne se fit pas, obligeant à une rupture du contrat avec les instances forestières. Cet argument fut même distordu en son contraire quant à sa signification quand on apprit que le chef d’équipe obtint, plus tard, un autre contrat et reprit le même travail avec 2 machines et moins d’hommes dont, cependant, Travis Walton, réembauché (il avait perdu son emploi suite à l’incident). A mon avis, ce prolongement va plutôt en faveur de la sincérité des témoins oculaires de l’épisode qui, en cas de collusion, n’auraient certainement pas manqué de dénoncer l’imposture ; ce qu’ils n’ont jamais fait.

Contre : ce qui a surtout posé problème dans cette affaire c’est le manque de traces physiques sur la victime de l’enlèvement violent auquel Travis fut soumis au moment de l’éclair qui l’a touché et au moment de sa restitution ; lui-même raconta qu’il avait heurté durement le sol rocheux. Cette absence de contusions sera mise sur sa robustesse de Travis en tant qu’ancien boxeur amateur !

Confusion : la région de l’Arizona est souvent sujette à des feux de forêts imputables à la foudre même en novembre ; mais il s’agit de foyers généralement allumés en septembre, comme en 2009. Et aucun ne fut signalé dans les parages de cette région de Turkey Springs en 1975 : ni orage, ni incendie.
Très tardivement est venue se greffer sur cette affaire une possibilité de manœuvre de l’US Air Force avec des hélicoptères munis de phares dans la région à cette même époque (Moseley). Pourquoi n’en a-t-on pas parlé avant ?


Publié dans LE MONDE DE L’INCONNU, n°348, Février-Mars 2011.






















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