Transmissions de pensées depuis l'au-delà
Publié dans DIMANCHE Saône & Loire des 6 juillet et 7 septembre 1997.
Comment apporter la preuve apte à convaincre les plus incroyants que la conscience humaine individuelle n'est pas anéantie totalement par la mort corporelle et l'arrêt définitif des fonctions vitales ? Ce prodigieux défi lancé au matérialisme triomphant à la fin du siècle dernier vient de trouver, dans une de ses plus subtiles versions, un épilogue plutôt inattendu.
C'est en 1891 que Frédéric W.H. Myers, psychologue britannique et pionnier de la recherche psychique, imagina une expérience pour tenter de prouver la survie de l'esprit après la mort. Il confia à son ami Sir Oliver Lodge, plus jeune que lui, une enveloppe scellée contenant un message secret qu'il s'engageait, une fois décédé, à lui faire parvenir depuis l'au-delà. Ce serait alors la preuve irréfutable qu'il n'était pas complètement disparu corps et âme.
Un coup pour rien !
Hélas cette belle initiative était quasiment condamnée à l'échec pour de multiples raisons, dont une essentielle: comment savoir sans décacheter l'enveloppe si le message reçu par quelqu'un est le bon ? En vérifiant, on annule la condition indispensable au test à savoir que seul le défunt connaît le contenu de l'enveloppe. En clair Myers ne se donnait, une fois mort, aucun droit à l'erreur. L'enveloppe ouverte, même si c'était un échec, le défunt pouvait aller se rhabiller en fantôme anonyme. Myers devait bien se douter que si cela pouvait marcher de la sorte du premier coup, depuis longtemps on serait fixé sur la question.
L'idée était néanmoins féconde et elle constitua un challenge pour ceux qui persistèrent dans la voie de permettre aux morts qui s'y engagent durant leur vie de faire savoir qu'ils ne le sont pas tout à fait !
Message crypté
Le cryptage du message grâce à des mots-clés autorise à multiplier les essais. Un système de codage (de Tribbe-Mulder) consiste à associer un nombre aux lettres et ce successivement. Exemple de message à trouver: « Mystère in chaque Dimanche Saône/Loire ». Un premier mot-clé « Michel », donné au vérificateur par le défunt, conduit à la suite m1,i1,c1,h7,e5,l1 (lettres de michel dans les positions 1,1,1,7,5,1). Tout d'abord, on applique ce chiffrage au texte proposé et on compare à ce qui est écrit sur une première enveloppe, par exemple. Deux cas: non-conformité, le test est stoppé à ce stade avec constat d'échec; le message en clair recherché demeure secret.
Si conformité, le vérificateur applique un deuxième mot-clé en sa possession. « enamor » par exemple, plus ésotérique cette fois (romane à l'envers). Le message crypté devient: m1/e5/7,i1/n2,c1/a3,m3/h7,o3/e5,l1/r4. Deuxième enveloppe, mêmes constats, on arrête ou on passe au troisième mot-clé "yedai" sans signification, cette fois. Le nouveau cryptage donne: m1y1/e5/e7,i1n2,c1/a3/e6,d1/m3/h7,a2/o3/e5,l1/i3/r4. On peut continuer, mais déjà le résultat obtenu: my--e-e in c-a--e d-m---h- -ao-e l-ir- est très proche du message attendu. Encore faut-il passer de la théorie à la pratique.
Thouless, le précurseur
C'est le Professeur Robert H Thouless, de Cambridge, président de la Society for Psychical Research (SPR) de 1942 à 1944, très intéressé lui aussi par une quelconque subsistance mentale post-mortem, qui préconisa ce système de codage pour vérifier les éventuelles propositions concernant des textes inventés ou puisés dans la littérature qu'il tenterait de communiquer après sa mort.
Son premier essai, en 1948, capota deux semaines après sa publication élucidé par un cryptologue qui puisa dans les informations données à propos du "passage identifiable d'une oeuvre imprimée" assez de renseignements pour identifier un des plus longs soliloques de Hamlet !
En 1949, l'expérience fut renouvelée sur le même principe, mais avec un texte plus court et une méthode de cryptage améliorée. Cette fois, le message resta secret... pendant 46 ans ! Un troisième message, chiffré au moyen du système connu comme "carré de Vigenère", demeura aussi ignoré. Entre temps, Thouless était mort (en 1984) mais personne ne parvint à découvrir ses phrases même après l'offre d'une grosse récompense. Si bien que tout dernièrement encore, on se demandait s'il n'avait pas mis la barre trop haut en proposant un système trop complexe. D'autant que la même expérience tentée par deux attorneys US n'eut pas plus de succès.
Le test du cadenas
De son vivant, Thouless lui-même, pris de doute sur sa capacité post-mortem de réussir, doubla ses chances en 1970, par une méthode plus simple suggérée par un autre de ses amis Ian Stevenson, célèbre pour ses travaux sur la réincarnation. Il s'agit, non plus d'un test purement mental, mais de transmettre depuis l'au-delà à quelque vivant la combinaison d'un cadenas à cadran (type coffre-fort) ou à roues (type attaché-case) fermé par le défunt lui-même de son vivant.
Il suffit de donner 7 chiffres dans le bon ordre, la chance d'ouverture due au hasard étant de 1/125 000 !
Là encore, toutes les solutions testées à ce jour - sur les cadenas de Thouless, J.G. Pratt (autre parapsychologue mort en 1979), I. Stevenson... - furent négatives sauf celle de 1996 couplée d'ailleurs au deuxième message crypté de Thouless.
La récompense de Susy Smith
Récemment, une autre adepte de la survie après la mort réactiva le débat. Ethel Elizabeth Smith, alias Susy Smith, 85 ans, auteur de 29 livres à succès sur le psi et fondatrice de la Fondation pour la Recherche sur la Survie (FRS), usa du système de codage de Tribbe/Mulder pour crypter son propre message et fit enfermer le tout dans la chambre forte de la fondation à Miami.
Pour inciter les médiums à s'engager dans cette affaire, elle offrit 1000 dollars à qui découvrirait son message de son vivant (elle l'est, bien qu'en santé précaire) et laisse 10 fois plus pour celui qui le fera après sa mort.
Plusieurs autres membres de la fondation testèrent en vain cette hypothétique télépathie post-mortem grâce à des testaments cachés. Or, voilà que dernièrement un intrus est venu semer le désarroi dans cette quête de la vérité sur la survie: l'ordina-teur !
« Quand je serai mort(e), je ferai tout mon possible pour communiquer des informations connues de moi seul(e) qui pourront être comparées à un message secret que j'enferme en un lieu inaccessible (enveloppe scellée, coffre-fort). Si quelqu'un prétend m'avoir contacté(e) et en cas de similitude de la réception avec ce que je laisse, cela prouvera à l'humanité que quelque chose de l'esprit individuel subsiste après la mort. »
Cette promesse extraordinaire, avec moyen de vérification gardant l'intégrité du « message » (cryptage, cadenas), a été une bonne dizaine de fois enregistrée dans le monde. Des milliers de vérifications ont été tentées, toutes négatives, sauf...
Mais auparavant posons-nous d'abord deux questions :
1/en cas de réussite, serait-ce vraiment la grande révolution que d'aucuns laissent entendre. En clair, la certitude que nous ne sommes pas complètement anéantis à la mort est-elle susceptible de changer radicalement notre mode de pensée (les scientifiques appellent ça le paradigme) ?
2/dans l'hypothèse dite « spiritualiste » (l'esprit transcende la matière), pourquoi ces tests ont-ils échoué répétivement ?
Le relativisme parapsychologique
Thouless, par exemple, quand il élabore son message de son vivant peut-il avoir transmis télépathiquement son intention et son choix à quelqu'un suffisamment « sensitif », lequel, ayant reçu cette information « subliminalement » (= inconsciemment), la verra réprimée et la restituera longtemps après la mort de l'expérimentateur, donnant l'illusion d'une communication par-delà la mort ?
Le cadenas de Pratt, lui, existe bien encore matériellement malgré la disparition de son propriétaire. Il est même véhiculé dans la poche de certains membres de la SPR lorsqu'ils assistent à des séances médiumniques susceptibles d'évoquer l'esprit du défunt. Alors, un médium doué de clairvoyance ne peut-il pas deviner la combinaison d'ouverture ?
On se trouve confronté là à la fameuse impasse que le chercheur allemand Fritz Grunewald a qualifiée de relativisme parapsychologique, en 1925. La recherche psychique traîne ce boulet depuis plus d'un siècle.
Ainsi, réussir le test de la survie dans ces conditions, à cause de ces alternatives, ne saurait convaincre le moins sceptique des animistes (gens qui attribuent tous les phénomènes psychiques aux vivants). Dans ce contexte, ces expériences ne seraient que des amusements parfaitement stériles pour oisifs en mal d'interrogations métaphysiques, d'autant que le test idéal n'existe pas puisque ce devrait être un message inconnu de tout vivant qui devrait être transmis pour éliminer les actions de télépathie et de clairvoyance. Mais dans ce cas quelle serait le moyen de vérification ?
Les morts ont-ils de la mémoire ?
Si l'arrêt des fonctions vitales - notamment des neurones - n'interrompt pas ipso facto l'acte de pensée, pourquoi ces ingénieuses expériences de télépathie entre morts et vivants ont-elles lamentablement échoué ?
Tout d'abord, dans l'hypothèse où ils sont encore conscients, pourquoi les morts, garderaient-ils souvenir de gageures inconsidérées passées de leur vivant. Thouless et d'autres, parvenus au seuil de la mort, vécurent leurs derniers instants dans la hantise d'oublier leur message.
T. Oram, un chercheur contemporain engagé dans cette recherche sur la survie, reconnaît qu'il trouve déjà assez dur de se rappeler des choses alors qu'il est encore en vie. Alors après ?
Par ailleurs, le fait de mourir ne doit-il pas induire des changements mentaux bien supérieurs aux prémisses d'une maladie de Alzheimer ?
Susy Smith pense qu'elle réussira là où tant de ses illustres prédécesseurs défunts sont restés muets parce qu'elle se fera aider par ses amis de l'au-delà ! Mais elle part d'un postulat nullement démontré: l'union fait la force au royaume des morts !
De plus, d'aucuns pensent que survie après la mort et communication par-delà la mort peuvent exister indépendamment l'une de l'autre. Les morts ont-ils de bonnes raisons de ne pas communiquer avec nous ? Ce n'est pas exclu et cela expliquerait ce grand silence auquel chacun de nous est confronté lors du décès d'un être cher.
L'alternative de la super E.S.P.
Mais il y a pire en la matière. Aurions-nous la faculté mentale de permettre aux morts de continuer de vivre à travers nous, vivants ? Nos pouvoirs psychiques encore non totalement révélés ont-ils la puissance sublime et illimitée de pêcher sélectivement des informations dans les esprits des vivants et dans les documents écrits. Ainsi, toutes les pseudo-preuves « spiritoïdes » tendant à accréditer la thèse de la survivance quelque part des défunts ne seraient qu'illusions produites à partir des souvenirs enfouis dans la mémoire des proches du mort encore vivants.
L'hypothèse spirite ne serait qu'une illusion, une théorie abstraite, entretenue par les vivants. C'est généralement encore aujourd'hui l'opinion qui prévaut surtout dans la communauté scientifique.
Le message de Thouless deviné !
La nouvelle fut relayée par The Times lui-même à l'été 1995. Un expert en « cryptologie », Larry Harnisch, éditeur du Los Angeles Times, aidé du Californien informaticien James J. Gillogly de la Rand Corporation, a réduit en miettes le deuxième message de Thouless. En faisant tourner pendant 9 heures un logiciel capable de tester tous les mots du dictionnaire, il est arrivé à la conclusion que le mot-clé en était Black Beauty; et ainsi on a pu déchiffrer le message qui était textuellement: « Ceci est un message chiffré qui ne sera pas lu à moins que je donne les mots-clés (sic) ». Par ailleurs, à partir de ce mot-clé, le cadenas a pu être ouvert. Succès sur toute la ligne.
Mais l'esprit post-mortem de Thouless dans tout cela ? Comme l'écrivait un parapsychologue dernièrement: "Nous n'avons aucune raison de penser que R. Thouless, s'il survit à la mort, a joué un rôle quelconque dans le déchiffrement de ce message". Un autre chroniqueur anglais s'interroge: « Le Professeur Thouless a-t-il été alerté dans l'Au-Delà » ?
Cette quête de ce qu'il y a derrière la mort n'a pas fini de nous obnubiler et ceci n'en déplaise aux informaticiens lesquels feraient mieux, selon moi, de se cantonner aux secteurs traditionnels où ils apportent tant. Mais pour ce qui est de la vie après la mort, ils sont hélas eux aussi tous mortels, ce qui ne leur donne aucun avantage sur Monsieur tout le monde.
Car comme le disait fort justement un spirite: si l'on n'a pas encore la preuve de la vie après la mort, on n'a pas non plus la moindre preuve qu'elle n'existe pas !
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