Extra-terrestres en exil !
Ou les mystères du paranormal humain
Comme je l’ai déjà
dit, ce fut M. Gallet, directeur littéraire chez Albin Michel, qui suggéra,
au-delà de toutes mes espérances, que les pages non retenues du trop long
manuscrit intitulé : « Terriens ou Extra-terrestres ? »
puissent servir à un autre livre. Dans une lettre datée du 7 février 1973, il
m’écrivait : « Je pense que la partie supprimée pourrait très bien
faire l’objet d’un autre ouvrage tel que vous le décrivez. Et je suis tout prêt
à en examiner la possibilité de parution dans la même collection ».
Vous pensez que la
suggestion n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd…
Aussi, avant même
la parution de « Terriens ou Extra-terrestres » qui se fit en
septembre 1973, je m’attelai à ce travail qui dura de février 1973 à décembre
1973.
L’année précédente
avait été pour moi la période la plus douloureuse et déprimante de ma vie.
Rentré du Canada en février 1972, y ayant effectué depuis 1967 ma thèse de
doctorat et un stage postdoctoral qui fit office, militairement parlant, de
coopération technique, nous débarquâmes à trois (mon épouse, mon fils âgé d’à
peine 6 ans et moi) chez mes parents retraités. Je devais me mettre à chercher
du travail, n’ayant fait aucune démarche depuis Montréal.
Montréal où
j’avais laissé pas mal de moi-même m’étant si facilement fondu dans ce nouveau
monde avec mon accent du Morvan qui me faisait passer pour un vieux
québecquois. Longtemps, j’avais caressé le projet de nous y installer
définitivement, comme plusieurs de mes confrères le firent notamment en
devenant professeur de CEGEP, c'est-à-dire de collèges d’enseignement
général et professionnel.
Et puis, cela ne
se fit pas. Ma femme, Simone, ne se plaisait pas là-bas (plus, peut-être que je
l’imaginais) et aspirait à revenir en France où nous avions toute notre
famille. Les premiers jours de notre retour, je me souviens de crises de cafard
qui me prenaient… Mais était-ce un pressentiment que le ciel allait bientôt me
tomber sur la tête ?
Vers la mi-février,
Simone, alors âgée de 29 ans à peine, tomba malade… Le 5 mars 1972, elle
décédait à l’hôpital Edouard Herriot à Lyon où elle avait été transportée
d’urgence pour un traitement de la dernière chance. Il échoua.
Il s’ensuivit pour
moi plusieurs mois de désarroi. L’année 1972 s’écoula comme un cauchemar
d’autant que le fait d’avoir « travaillé » à Montréal ne me permettait
pas de bénéficier de la moindre aide sociale en France : chômage,
allocation, aide… Mes seules ressources sur un an furent le remboursement des
frais ultimes d’hospitalisation de mon épouse. Nous n’avions pas droit à la
sécurité sociale !
Un an de galère
marqué par mes visites journalières au cimetière, l’entrée à l’école primaire de
mon fils (là où moi-même j’étais allé entre 1948 et 1951), la parution de l’« Alchimie »
en mai 1972, l’envie de tout abandonner…, la recherche difficile d’un emploi
(seulement deux entrevues dont la seconde fut la bonne !). Vous pensez si
la suggestion de M. Gallet fut la bienvenue. Et l’embauche en mars 1973 comme
chercheur au centre de recherches cryogéniques de la plus grande société française
productrice de gaz liquéfiés où je fis toute ma carrière vint comme une
délivrance. Avec déménagement illico de la Bourgogne en région Rhône-Alpes, comme on disait
à cette époque.
La révision et
l’« étoffage » de ce qui devait devenir « Extra-terrestres en
exil » se fit donc à Fontaine, dans l’Isère, en meublé, à travers les
documents qui commençaient à me parvenir de partout dans le monde et des
stations à la bibliothèque du CEA à Grenoble où je soustrayaient quelques
minutes de mes déplacements professionnels pour inventorier la littérature
moins orthodoxe que celle de l’oxygène envisagé comme remplaçant avantageux de
l’air pour les réactions chimiques (j’avais été embauché pour ça).
Dans ce livre qui devait se
voir dans la continuation de « Terriens ou Extra-terrestres », je
reprenais l’idée d’une filiation des filles des hommes autochtones (homo à
peine sapiens) avec les « fils des dieux », des extra-terrestres en
l’occurrence ou plus précisément des créatures manipulées plus ou moins
génétiquement par les « dieux » et libérés plus ou moins
volontairement dans la nature terrienne et « qui y firent souche ».
Nous aurions tous hérité de ce
« croisement interracial » voire interespèce, certaines capacités
extraordinaires physiques et psychiques dont celles qui se manifestent dans le
paranormal et la médiumnité.
Voilà comment je commençais l’introduction de mon
livre :
Si Dieu est devenu
homme,
l’homme est devenu
Dieu.
Saint Cyrille d’Alexandrie.
Terriens ou
extra-terrestres ?
La brève citation mise en exergue en haut de cette page
pourrait passer pour anodine. Pourtant, elle n’en infirme pas moins l’opinion
largement partagée selon laquelle, l’homme, gravissant laborieusement les
échelons de son évolution, tendrait vers un avenir encore incertain où il s’égalerait
à Dieu. Incertain, pour ne pas dire problématique si l’on s’en réfère aux dires
de Jules Carles (1) qui voit « dans les deux milliards d’années qu’il a fallu
pour parcourir le chemin qui va du premier vivant jusqu’à l’homme, plutôt qu’un
record de vitesse (...) un record de lenteur ».
La phrase du patriarche d’Alexandrie laisse entendre de
préférence que la créature humaine, par le passé, a déjà réalisé sa propre «
divinisation » par une voie qu’il reste à préciser. Le thème qui a fait la
matière de notre ouvrage précédent fournit une solution à cette ambiguïté qu’il
serait facile d’étoffer par d’autres exemples.
Aussi, à l’intention des lecteurs non familiers avec nos
idées, il nous paraît opportun, ici tout au début de ce nouveau livre, d’en
faire un bref résumé, surtout que ces arguments sont indispensables à la
compréhension du texte qui va suivre.
Les mythologies du monde entier se font l’écho des plaisirs
charnels auxquels s’adonnèrent sans vergogne une poignée de créatures
équivoques en compagnie de terriennes aborigènes. La Bible en particulier, qui
fut pendant longtemps le récit mythologique par excellence, et que l’époque
moderne ravale à un pastiche mal construit et trompeur, parle de l’union des
fils de Dieu avec les filles des hommes. Pour peu que l’on veuille bien
abandonner ses préjugés avant de s’en rapporter à ce passage de la Genèse (VI, verset 4), il
semble qu’en terminologie moderne ces lignes relatent une « hybridation », c’est-à-dire
un croisement entre individus de races ou d’espèces différentes.
Sans conteste, un tel croisement se heurte à un rempart
de difficultés lesquelles ont été examinées avec soin, et par le biais des plus
récentes découvertes en matière de biologie cellulaire, gynécologie et
embryologie, il a été vu que cette interprétation des Saintes Ecritures, bien
qu’elle soit quelque peu futuriste, entre même dans une conception assez peu
subversive et à tout le moins raisonnable.
Quelle était cette race différente, non originaire de la Terre , dont l’accouplement
aux femelles humaines se révéla fécond et donna naissance à des êtres « fameux
entre tous » ? Sont-ce quelques-unes de ces créatures innombrables, peuplant
les espaces stellaires, supérieures à l’homme dans le même rapport que celui
qui le sépare des animaux terrestres, dont le moine italien Giordano Bruno
affirma l’existence avant de se voir mené au bûcher pour la peine ? Il paraît
inconcevable qu’il en ait été ainsi, même si les probabilités ne s’y opposent
point.
Donc, nous avons été amenés à plutôt conjecturer une
étape d’acclimatement plus ou moins dirigée afin que l’hybridation désirée soit
rendue possible. A cet effet, l’intervention divine dépouillée de son caractère
fictif de créature extraterrestre, bien au goût du jour, mais tout de même trop
aléatoire, a revêtu l’habit de Principe de finalité mieux dans les normes
philosophiques. Est donc né de ce vaste programme un petit groupe d’êtres
mi-hommes, mi-dieux, dont la dispersion du patrimoine chromosomique a conféré à
la descendance, qui en a découlé, cette « nouvelle nature » telle que l’entend
Paul Misraki.
Or, la clé de voûte de notre thèse consiste en la
recherche parmi la population contemporaine de résurgences de cette nouvelle
nature au sein de l’ancienne. Les lois génétiques y autorisent ou plus
exactement nous y obligent. Qu’un gène étranger ou mutant ait fait l’objet d’une
transmission sexuelle en quelque point que ce soit de l’histoire de l’humanité,
l’espèce actuelle qui en a bénéficié doit immanquablement en subir encore les
effets. C’est-à-dire qu’une portion non négligeable de la population d’aujourd’hui
peut se prévaloir de garder, dans les formes spiralées de son acide désoxyribonucléique,
les traces du passage de l’entité, dont la dernière visite sur la Terre remonte à environ 20
000 ans (2).
L’être humain cessant de cette façon peu catholique d’appartenir
à une race pure se verrait encore de nos jours le sujet d’un dualisme tant discuté
dont le manichéisme ne serait qu’une des facettes.
Il est remarquable de noter que ce point de vue très personnel
s’accorde parfaitement avec certaines vues bibliques lesquelles veulent
reconnaître dans les hommes, des « étrangers », des « voyageurs sur la Terre », des exilés en quelque
sorte, tant que la route des étoiles nous demeure fermée.
Subdivisant notre première enquête en deux sections, l’une
se rapportant aux énigmes physiologiques qui donneraient à penser que certaines
qualités non indispensables à notre quintessence terrestre nous ont été
inculquées puis oblitérées par le temps, l’autre s’attachant à montrer cet
aspect déconcertant de l’être humain en tant que créature pensante, donc
impossible a priori comme l’a si bien justement démontré le Recteur de Dijon,
Emile Boirac, puisque ressortissant à la seule force « contragissante » de
notre planète, il nous a été dérisoirement facile d’apporter les preuves que
nous sommes le siège de facultés et d’aptitudes « non naturelles ». Et de
remonter la filiation héréditaire des générations passées jusqu’en ce point de
convergence biblique où l’homme a abandonné, une fois pour toute, son statut d’animal
évolué pour celui de « dieu dégénéré », et cela à cause de la légèreté
légendaire de ses filles.
Mais nous avons volontairement omis de parler de ces
mystères paranormaux, dont l’occultisme tira parti si longtemps pour instituer
son règne de chimères, que la métapsychique tenta de sortir des brumes de la
superstition et que dernièrement la parapsychologie a décidé d’authentifier et
d’ériger en règles méthodologiques. Ce présent ouvrage sera consacré à une
compilation, objective autant que possible des phénomènes humains non reconnus
par la science officielle. Ce serait bien le diable qu’il n’en résulte pas quelques
bribes de vérité ! Et les énigmes abordées auront un caractère si déconcertant
qu’un exercice d’ouverture d’esprit consistera à vouloir en faire la synthèse
dans un individu unique que l’on assimilera au portrait reconstitué de l’un des
énigmatiques fils de Dieu. Qui sait si cet « agrégat » d’étrangetés humaines n’est
pas l’équivalent de ces « supercyborgs » qu’on s’apprête à lancer dans le
cosmos et que, peut-être un jour, une civilisation primitive extra-terrestre
vénérera en qualité de dieu venu du Ciel ?
Déjà la médecine moderne se dirige vers un temps où les
nouveau-nés seront débarrassés à la naissance d’attributs non indispensables à
leur vie en ce monde « pasteurisé » du XXIème siècle en gestation. C’est ainsi
que le Dr R. V. Tait, dentiste londonien, préconise une réduction systématique
du nombre des dents, de 32 à 24 et même à 20, et ceci par une série d’extractions
durant l’enfance. De cette manière, les dents restant en nombre bien suffisant
pour l’usage que l’on en fait aujourd’hui, pourraient être mieux préservées de
la carie. Cet exemple pour faire comprendre que la créature humaine, telle que
l’on a bien voulu la voir jusqu’à ces jours, ne pourra pas s’adapter assez vite
naturellement aux conditions qui vont prévaloir prochainement. Si l’individu n’agit
pas directement sur sa propre évolution, il risque de s’établir, à plus ou
moins brève échéance, un déphasage très marqué entre deux natures, dont il n’est
pas impossible qu’elles n’aient pas été concertées. Quels caractères prendront
le dessus ? Notre côté purement terrestre aura du mal à s’imposer sur une
planète profondément marquée par l’empreinte des visiteurs du cosmos qui, eux
aussi certainement par anthropomorphisme, ont voulu en faire une copie
relativement conforme à leur patrie. Attendent-ils cet instant pour reprendre
contact et les U.F.O. ne sont-ils pas que des sondes destinées à voir où l’on
en est de notre adaptation aux possibilités nouvelles conférées à notre
organisme ?
Contrairement à Bergier et Pauwels, nous sommes certains
que le but de la Science
n’est pas de prouver qu’il n’y a pas de Bon Dieu. Tout au contraire, elle doit
nous permettre de « réeffectuer » une nouvelle jonction avec celui qui nous a
fait confiance pour propager un jour ce dogme mystérieux mais réel de la Vie Pensante. Si de
prime abord, il peut sembler rationnel de s’en remettre à ce propos d’un initié
cathare qui voit dans la « faune » terrestre où toute bonté semble exclue, un
argument flagrant de la non-intervention de Dieu dans le système solaire, ce
point de vue est trompeur car il n’est pas exclu que l’« éternel héritage des
fées » soit complètement dépourvu de la notion de bonté, laquelle n’aurait rien
à voir avec la Raison
si ce n’est l’illusion d’une règle qui se joue au niveau de l’Univers et non
pas à l’échelle du microcosme individuel.
Mais ceci nous écarte de l’objet de notre recherche, à
savoir trouver en l’homme la démonstration de sa nature hybride car, à l’opposé
de Jacques Monod, il nous plaît de croire que nous ne sommes pas seuls dans l’univers.
Encore faut-il ne pas fermer son esprit à tous les indices qui le laissent
supposer…
(1) Jules Carles (1902-2000), directeur de
recherche honoraire au CNRS,
professeur de biologie à l'Institut catholique de Toulouse, auteur du
livre : Le premier Homme (1970).
(2) Cette date, optimiste,
pourrait être aujourd’hui largement remontée
dans le temps pour s’accorder avec la nouvelle chronologie en vigueur de
l’accession de l’homme à une certaine intelligence sur cette Terre.
Et je terminais ce livre par cette conclusion romancée en
guise de clin d’œil de paléo-fiction.
Conclusion
Portrait robot d’un
de ces « Mutants qui s’Unirent aux Terriens il y a 9 000 Ans ».
« Le Mutant dispose d’un pouvoir que l’homme
ordinaire n’exploite
guère : de l’intelligence. »
Louis Pauwels et Jacques Bergier,
Le Matin des
Magiciens.
Muta était beau, cela il le savait. Aussi n’avait-il eu
aucune peine à satisfaire ses mauvais instincts, une fois échappé d’Eden. Un
sourire pervers étirait ses lèvres bien ourlées quand il évoquait ce jour béni.
Certes, les menaces du Maître lui restaient en mémoire, mais il le mettait au
défi de les concrétiser. Et encore l’eût-il tenté, la belle affaire ! Il savait
pertinemment qu’un jour il devrait payer ses dettes. Oh ! pas lui, plutôt ses
descendants. Il savait tant de choses sans jamais les avoir apprises. Et il
sentait qu’il y avait des trésors de connaissances enfouis dans sa tête. Enfin,
il avait goûté à la Liberté ,
n’était-ce pas là un privilège bien supérieur à la protection divine ? Avoir
respiré cet air si vivifiant à ses poumons, avoir erré sans but, sans
contraintes, avoir écouté le léger gazouillis d’une eau qui sourd et en avoir
savouré le nectar. Non, le jeu en avait valu la chandelle ! Puisse-t-il durer
encore longtemps !
Pour s’imposer, tout avait été d’une simplicité
dérisoire, quelques actes de violence et son port noble et fort avait fait le
reste. Les habitantes de cette contrée verdoyante étaient tombées en pâmoison
quand il avait laissé courir sur elles, du haut de sa grande stature, le
velours de son regard bleu. Et il n’avait eu qu’à tendre la main pour cueillir
ces fruits de la chair. Quant aux hommes, leur stupidité confinait à l’abêtissement
! Comment une poignée de primitifs de cette mouture pouvait avoir hérité d’une
planète si enchanteresse ? C’était à n’y rien comprendre ! Et Muta, lui, n’aimait
pas se formuler des problèmes dont il n’entrevoyait pas la solution immédiate.
Une chose était sûre, il saurait profiter de sa supériorité pour couler des jours
heureux. Pensez que ces ignares, aux idées aussi courtes que leur corps, aux
cerveaux si vides, faisaient des gorges chaudes quand il leur avait dit qu’il
venait du Ciel. En cela Muta arrangeait quelque peu la vérité, car il avait été
créé avec la matière première aborigène. Seule l’étincelle qui dansait au fond
de ses yeux intelligents venait d’ailleurs. Mais il n’allait pas condescendre à
leur expliquer. Leur conception du ciel était si primaire que tout effort de ce
côté était voué à un échec certain. Muta avait horreur de l’effort ! Pourvu qu’ils
continuent à le choyer, à le vénérer, à le craindre et à garnir sa couche des
femelles les plus rebondies de la tribu...
Parfois, Muta détectait quelques bribes de sentiments
désagréables dans ces gros crânes hirsutes, pleins de vent. Et cela l’irritait
! Comment des créatures si inférieures pouvaient-elles nourrir à son égard
quelque pensée de haine, de jalousie, de rancune ? Ne leur avait-il pas fourni
l’occasion de diriger leurs prières vers quelqu’un de valable au lieu d’adorer
des chimères de pierre ? Oh, il n’avait aucune velléité de conquête, d’ailleurs
à quoi bon, du moment que tout lui était acquis d’emblée. Il avait adopté cette
humeur de pacifiste à l’instant même où il avait eu la certitude que ces
humanoïdes restaient dans l’ignorance complète de ses pensées et qu’il en était
de même entre eux. Alors, il avait eu pitié de ces pauvres êtres si isolés
psychiquement. Comme cela devait être dur de vivre ainsi enfermé dans la petite
cage de son intellect et de rester insensible à tout le souffle de la nature en
pulsation.
Muta fronça les sourcils. Instinctivement, il percevait
qu’on fomentait un mauvais coup à son endroit. Plusieurs esprits dirigeaient
leurs ondes présentement dans sa direction et enfin il put synchroniser leurs
paroles. C’était le chef de la troupe, avant qu’il n’ait paru, qui mijotait des
tendances à la reprise du pouvoir par la force brutale. Et Muta se voyait tel
qu’ils le souhaitaient : cloué au sol par trois épieux traversant sa vaste
poitrine. Pauvres idiots !
Il se concentra brièvement et entendit les cris de
terreur qui sortaient de la petite grotte où s’étaient réunis les
conspirateurs. Ils en jaillissaient et fuyaient à toutes jambes, certains
arborant des bosses dans leurs cheveux, d’autres emportant dans leurs oreilles
les sons et les voix qu’il avait fait surgir des murailles de terre. C’était
tellement plus simple que de se déplacer pour aller les châtier ! Et puis il ne
risquait pas d’attraper une blessure, gênante non pas pour la douleur qu’elle
éveillerait et qu’il saurait dompter, mais qui pourrait abréger ses jours en ce
monde de paradis. Car il savait que la mort n’est pas inéluctable mais il lui
déplaisait souverainement d’envisager une réincarnation, équivalant à de
nombreuses années passées dans un corps infantile sans intérêt. Inconsciemment
s’imposait à lui la certitude qu’il pourrait vivre ici des siècles de
révolution de la planète...
Muta décida brusquement d’aller faire un tour. Son long
corps élégant d’athlète bien entraîné se souleva de terre et, bientôt, il frôla
la cime des grands chênes. Le vent faisait onduler ses cheveux blonds et
bouclés. Comment le Maître avait-il pu croire qu’ils resteraient docilement
dans ce camp recouvert où ils devaient se morfondre sans même jouir de toutes
les possibilités dont il les avait dotés. D’ailleurs la vie y était intenable ;
des conditions d’asepsie strictes y étaient maintenues à telle enseigne qu’on
se croyait en serre. Un enfer en quelque sorte ! Il n’était pas concevable d’y
celer une pensée et cela occasionnait d’incessantes disputes. Tandis que
maintenant dispersés, chacun entretenant sa passion du moment, ils ne
songeaient même plus à s’importuner.
Muta déposa son corps en une clairière ensoleillée. Il
cueillit quelques baies et s’allongea mollement. Tout à coup, une grosse chose
apparut. Muta reçut une bouffée de violence en même temps que des dents acérées
s’approchaient de son cou. Le tout s’effectua très vite ; il y eut un galop de
bête effrayée. Muta sourit. Rien en ce monde n’avait les moyens naturels de
rivaliser avec lui. Le fossé était réellement très profond.
Sans qu’il quittât sa position allongée, une main s’extériorisa
au loin, mue par la pensée. Elle choisit avec discernement les fruits les plus
mûrs, les apporta près de Muta et se dilua dans l’atmosphère. Tout était d’une
déroutante facilité, portant même à l’ennui. Heureusement, il y avait de belles
compensations ! Finalement, il s’endormit et, grâce au merveilleux mécanisme du
rêve, il fut projeté dans un autre univers impondérable, encore plus doux. Mais
ce monde ne serait-il pas le sien demain ? Dans ce cas... Soudain une flamme
gigantesque monta jusqu’aux cieux et l’environna de toutes parts. Elle lui
léchait les jarrets sans le brûler au sens humain du terme, mais son souffle
ardent asséchait sa gorge et noyait son esprit d’une fumée dense et âcre. Et,
simultanément, montait une vague incantatoire où se mêlaient des cris et des
lamentations. Puis la vision s’estompa graduellement. Muta changea de position.
Un silence lourd pesait en son âme. Un sentiment complètement inconnu de lui s’installait
dans ses fibres comme un serpent se coule dans une fissure : c’était la peur...
la peur de l’exil !
6 janvier 1974
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