La grossesse masculine : bientôt réalité ?
Par Michel GRANGER
En ces jours où aucun interdit ne semble plus entraver le domaine jadis tabou de la reproduction humaine « hors des voies naturelles » (termes empruntés à l'encyclique de Paul VI, Humanae Vitae, datant de 1968) et dès lors que les techniques de fécondation in vitro, de choix du sexe de l'enfant, de congélation d'embryons et de mères porteuses sont monnaie courante - si j'ose dire nonobstant ce que cela coûte à la collectivité, est-il une variante en la matière qui puisse encore étonner, voire choquer ?
Je pense que oui. Et elle concerne une éventuelle grossesse masculine !
Un homme, au sens plein du terme, pourrait-il, moyennant interventions mineures être mis « enceint », porter un enfant et finalement accoucher si tant est qu'on voit mal comment tout le processus pourrait se dérouler sans quelques opérations d'assistance médicale ?
Aussi incroyable que cela puisse paraître - pour d'autres, c'est plutôt malsain même de seulement l'envisager - depuis une dizaine d'années, certains spécialistes de la gynécologie-obstétrique ne se sont pas privés de faire savoir que l'éventualité qu'un homme puisse porter un enfant ne relève nullement de l'utopie.C'est l'avis notamment du pionnier américain Landrun B. Shettles (1909-2003), de l'Université Columbia à New York, qui, en 1985, déclarait : « Je pense que si quelqu'un veut vraiment tenter l'expérience, il le pourra et avec succès ».
Ainsi, le mythe de la grossesse masculine de Zeus deviendra-t-il bientôt réalité ?
Mais en vérité, ne l'est-il pas déjà ?
Les cas douteux
J'ai deux informations qui pourraient porter à le croire.
L'agence Reuter, en 1979, rapporta qu'un jeune Japonais avait eu un enfant à Osaka.
Yoshinobu Nakamo, cheminot de métier, se plaignait de douleurs dans la poitrine au point que les docteurs décidèrent de l'opérer. Et ce fut pour le délivrer d'une petite fille qui s'était développée dans son poumon ! L'embryon en bonne santé avait la taille d'un poing.
En fait, selon le chirurgien Masatoshi Naito, il ne s'agissait nullement d'une « maternité mâle » mais plutôt d'une sœur siamoise de Yoshinobu dont l'œuf avait été absorbé par son propre corps au cours de la grossesse de sa mère.
Il était resté « en sommeil » pendant près de 20 ans et c'étaient les hormones de puberté du jeune homme qui l'avaient en quelque sorte « réveillé » en déclenchant sa croissance.
Un coup pour rien ! Là encore si j'ose dire...
Plus récemment, en 1984, un autre homme était annoncé « enceint » à Göteborg, en Suède.
Cette fois, on se rapprochait du but, mais pas vraiment.
En effet, l'homme en, question était Miss Johannson (!), dont le premier prénom était Gunnar, un transsexuel mâle sur lequel le docteur Georges Chaison avait greffé les organes reproducteurs féminins - utérus et ovaires - prélevés sur une accidentée de la route...
Une opération autrement plus compliquée que l'habituelle vaginoplastie des changements de sexe et aussi autrement plus probante puisque, selon Miss Johannson, deux mois après, elle avait ses premières règles !
Et de surcroît, l'ultime mise en condition d'enfanter s'était faite naturellement, ce qui comblait d'aise la future maman.
Je ne sais pas, par contre, si la naissance a eu lieu.
En tous cas, il s'agissait là encore d'une « première » fantastique, certes, mais quelque peu à mon sens trop « fabriquée » pour briguer le titre de véritable grossesse masculine.
Quand les médecins en parlent - ceux qui prennent le risque - ils se réfèrent, comme je l'ai dit plus haut à un processus beaucoup moins « radical ».
En effet, dans leur optique, le père mettrait bas tout en ayant gardé son identité intacte. Sinon ça ne vaut pas !
Succès chez l'animal
Qu'est-ce qui les autorise alors à prétendre un tel phénomène comme possible ?
Tout d'abord les résultats acquis chez les animaux.
D'incontestables grossesses mâles ont été obtenues expérimentalement chez les rongeurs et autres mammifères.
Il n'y a que les spécialistes qui le savent mais c'est un fait.
Et ici les règles élémentaires ont été respectées : à savoir implantation d'un embryon dans la cavité abdominale d'un adulte mâle normal, avec non seulement survie mais grossissement vers le fœtus.
Chez la souris, par exemple à l'université d'Oxford en Angleterre, des « remplacements » - réimplantation de l'œuf avec fixation et début de gestation - ont été réussis non pas dans l'utérus comme cela se pratique pour les bébés dit « éprouvettes » et pour cause !, mais dans les reins, la rate et les testicules de mâles. Authentique !
C'est même ce dernier endroit qui fut jugé le plus prometteur, ayant permis des durées de demi-grossesse (12 jours) dans de parfaites conditions.
L'échec des menées à terme étant simplement imputé à une insuffisante élasticité des tissus testiculaires pour conduire à un développement complet.
La seule tentative couronnée de succès sur un mammifère plus évolué le fut en Nouvelle-Zélande en 1967.
Le Dr Cecil Jacobsen, de l'école médicale de l'université George-Washington, implanta un œuf fertilisé de babouin femelle dans l'intestin d'un mâle.
Or, contre toute attente, il y eut fixation, mais aussi alimentation du fœtus comme si les vaisseaux sanguins du péritoine pouvaient faire office de placenta.
Cette expérience amena une révision radicale des idées qu'on avait sur l'autonomie du fœtus, notamment dans sa capacité à se fournir lui-même les hormones dont il a besoin.
Au bout de 4 mois (sur les 7 nécessaires), on procéda à un avortement, non pas contraint forcé mais parce que l'expérience avait d'autres buts que la délivrance à terme (cancérogenèse).
Mais selon les responsables, celle-ci n'aurait posé aucun problème.
D'ailleurs le fœtus retiré était viable, c'est-à-dire qu'on aurait pu - si on avait voulu comme pour les prématurés - le mettre en couveuse et le sauver.
Les naissances extra-utérines
Outre les indéniables promesses résultant de ces expérimentations sur l'animal, d'autres observations - chez la femme cette fois - vont dans le sens de soutenir, physiologiquement parlant, qu'un embryon pourrait fort bien suivre une croissance normale dans un ventre masculin : ce sont les grossesses extra-utérines dont une au moins a abouti à une naissance.
C'est en mai 1979 que Margaret Martin accoucha d'une fille en pleine santé de 2,5 kilos dans une maternité d’Auckland.
Rien d'anormal à cela.
Oh si, car la jeune femme n'avait plus d'utérus ayant subi une hystérectomie huit mois plus tôt !
Un œuf fertilisé « errant » s'était logé dans son abdomen au niveau de l'intestin.
L'affaire fit grand bruit dans les milieux médicaux et c'est à la suite de ce brouhaha autorisant théoriquement les pères porteurs qu'il y eut une avalanche de candidats qui voulaient être mères !
Vingt-quatre grossesses seulement ont été signalées, de par le monde, chez les femmes qui avaient subi l'ablation de l'utérus.
Vingt-trois avortèrent.
Mais près de 1 000 grossesses extra-utérines furent rapportées avec un taux de naissance de 9 pour cent.
Ces 90 femmes ont donc accouché d'un bébé normal et en santé qu'elles avaient porté, dans leur ventre, ailleurs que dans leur utérus intact prévu à cet effet.
Au Michigan, en 1969, un chirurgien s'apprêtait à opérer de l'appendicite une femme qui souffrait de crampes quand il s’aperçut que l’appendice avait... un pied, puis deux et pesait 1,8 kg.
Aujourd'hui, il s'appelle Joseph Thomas Cwik...
Et pour l'homme alors !
On se trouve donc là dans le même cas de figure qui verrait un homme en état de grossesse.
C'est ce qu'a confirmé récemment le docteur Emile Papiemik, un des pères du premier bébé-éprouvette français (abus de langage pour un être resté 3 jours in vitro et 9 mois dans le sein de sa mère), à la revue Vital.
« C'est théoriquement possible mais très dangereux », précise le Dr Robert Creasy, de l'université de Califomie.
Oui, la grossesse abdominale qu'aura à endurer le premier « homme-maman » est périlleuse. Mais il paraît que les volontaires font la queue sur plusieurs listes d'attente : des transsexuels bien évidemment, beaucoup d'homosexuels, mais aussi des hommes normaux qui veulent assouvir leur désir d'avoir un enfant.
N'a-t-on pas recensé depuis 50 ans quatre cas au monde de fausses grossesses chez des hommes ?
Contre 100 chez des femmes il est vrai.
Pour de tels mâles, capables d'entretenir une telle condition psychologique pendant des mois, on conçoit qu'aucun argument ne pourrait les faire renoncer à pareille expérience.
En quoi donc consisterait-elle précisément ?
En voici les phases principales : un ovule sera chirurgicalement extrait des ovaires d'une femme et fertilisé avec de la semence mâle en éprouvette.
Trente à cinquante heures plus tard, quand l'œuf se sera scindé en huit cellules - il aura la grosseur d'une tête d'épingle - il sera placé grâce à une tige creuse (cathéter) au bas de la cavité abdominale d'un homme.
Cela nécessitera une légère incision (laparoscopie).
Si tout se passe bien, l'œuf se fixera, commencera sa croissance tout en évitant les risques d'hémorragie létaux qui seront à craindre.
Au bout de 9 mois, l'homme sera délivré artificiellement par ce qui s'apparente à une césarienne.
Voilà le « travail » qui attend le premier cobaye à la maternité.
Ceci du point de vue physiologique, car de nombreuses barrières morales - éthiques, dit-on, se dressent devant ce que d'aucuns appellent de l' « anti-médecine » et d'autres « la plus grande mutation de l'espèce ».
Car, en effet, on peut se demander « quel est l'intérêt d'une grossesse masculine » ? On en a avancé plusieurs que je livre à votre réflexion en guise de conclusion : satisfaction d'un irrépressible vœu de grossesse chez l'homme, participation à une grande aventure scientifique, chance inouïe pour les transsexuels d'assouvir leur libido ; mais aussi pour la femme, moyen d'échapper à sa destinée biologique - beaucoup de féministes sont pour - et enfin solution radicale pour débarrasser la fonction biologique de la naissance de sa mystique ou bien bricolage inévitable du vivant.
J'en oublie certainement d'importants qui ne manqueront pas d’être évoqués dans un proche avenir tant cette éventuelle grossesse masculine semble fasciner certains médias et surexciter certains médecins.
Publié in LE COURRIER DE SAÔNE & LOIRE DIMANCHE du 8 mars 1987.Republié dans Le MONDE INCONNU, N°107, juillet/août 1989.
Dernière mise à jour : 1er février 2010.
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