L’homme qui s’est pris pour un chat pendant 13 ans !
Dernièrement, le fils d’un ami, bien élevé et à l’esprit ouvert, m’a demandé : un mythe, qu’est-ce que c’est ? Bonne question, s’il en est. Pas facile d’y répondre en tout cas si l’on s’en tient au dictionnaire qui parle de construction de l’esprit, de représentation symbolique et de récit populaire. Ma seule certitude en la matière est que, dans tous les mythes, il y a un fond de réalité, de vérité. Et que tous les mythes reposent sur des faits, même s’il est parfois difficile de déterminer exactement lesquels.
C’est le cas notamment de la légende des loups-garous, ou lycanthropie, qui va nous occuper aujourd’hui. Longtemps elle a paru si fantastique qu’on la refoulée dans le domaine de la sorcellerie : le folklore affirme que les sorcières peuvent se transformer en chiens, (on parle alors de cynanthropie), en chats ou en lapins…, alors pourquoi pas en loups ? Puis, sous l’influence de la psychose démoniaque, on l’a diabolisée en ce sens qu’elle s’est trouvée amalgamée avec les déviations sataniques dignes de la plus grande répression car sources d’atrocités. Il est probable qu’un certain nombre de malades ont dû faire, de la sorte, les frais du remède le plus radical qui soit : le bûcher ! Car si on soupçonne depuis longtemps que la lycanthropie est « une espèce de maladie mentale » (Littré de 1960), dont les premières descriptions datent de l’Antiquité (voir les livres du spécialiste Roland Villeneuve), on sait aujourd’hui que ce trouble de s’imaginer changé en loup, ou en un autre animal, a bien une base pathologique ; c’est un trouble psychique rare (on le dirait même héréditaire !) qui fait que certains sujets atteints se croient littéralement métamorphosés et adoptent les mœurs et coutume de la bête qu’ils s’imaginent être. Les exemples récents sont légions, voyons en quelques uns : en 1977, une Américaine du Texas, après avoir fait l’amour avec son mari, se mit brusquement à grogner et à aboyer. L’homme téléphona à un médecin qui mit la malade sous observation psychiatrique. Aussitôt, elle avoua que, depuis des années, elle était une femme le jour et un loup la nuit !
A Boston, en 1988, on découvrit qu’un homme de 24 ans se prenait depuis 13 ans pour un chat ! Ce « catanthrope » (?) disait que la gent féline lui avait appris à miauler et à se faire comprendre de toute l’espèce et il passait toutes les nuits à chasser la souris, à rechercher la compagnie des chattes du quartier avec lesquelles il n’hésitait pas à s’accoupler. Son lieu de prédilection nocturne était le zoo, devant les cages des félins heureusement hermétiquement closes car on aurait pu craindre le pire.
En 12 ans, l’hôpital McLean, de Boston, aurait enregistré 12 victimes de lycanthropie. Un autre cas parle d’un homme qui, se prenant pour un lapin, dormait chaque nuit sous son lit !
En 2002, un Californien, aurait même eu recours à la chirurgie plastique pour rendre son visage plus ressemblant avec celui d’un chat. Un exutoire actuel pour ceux qui ont tendance à de telles dissociations vers l’animal pourrait même être trouvé dans la mode récente de certains tatouages d’animaux sur la peau !
Aujourd’hui, les malades de ce type sont soignés grâce aux médicaments destinés aux maniaco-dépressifs ou aux schizophrènes ; c’est quand même plus enviable que les flammes, même si ce n’est pas toujours la panacée.
S’il semble bien qu’initialement le trouble mental a provoqué le mythe, on peut maintenant se demander si l’inverse n’est pas vrai dans le cadre de la culture moderne. En effet, la littérature, le cinéma, la télévision, ont tellement bien exploité et enjolivé la thématique de la lycanthropie que ses représentations se superposent maintenant à une réalité beaucoup moins attirante. Du fameux roman de R. L. Stevenson : « L’étrange cas de Dr Jekyll et Mr Hyde » à la poésie de Jean Ray, dans « Malpertuis », le sujet de la métamorphose animale tient une place de choix dans la littérature fantastique de l’imaginaire. Les effets spéciaux du cinéma et de la télévision ont permis de visualiser la transformation physique de façon si réaliste que les films d’horreur à la « Wolfen » ou autres ont récolté de beaux succès. Ainsi se situent les mythes, naviguant entre la fantaisie et le triste pragmatisme des choses et souvent par des allers et retours ; c’est bien ce qui les rend si fascinants même si, derrière eux, se sont joués des drames innombrables très douloureux. Comme lors de la fameuse vague du 16ème siècle, où une épidémie de lycanthropie, difficile à expliquer sinon par la théorie de l’hallucination collective, constitue un navrant épisode du mauvais traitement mis en œuvre pour éradiquer une des manifestations de la folie humaine.
Illustration : Le loup-garou tel que représenté par Lucas Cranach.
Publié dans DIMANCHE S. & L, 5 mai 2005.
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