Les fusées fantômes
Entre les « foo-fighers », ces mystérieux globes incandescents qui vinrent perturber en vol les aviateurs alliés à la fin de la 2ème guerre mondiale, et « l’escadrille de neuf soucoupes volantes » ricochant au-dessus du Mont Rainier (Washington) repérée, en 1947, par l’Américain K. Arnold, depuis le cockpit de son petit avion privé, en matière d’ovnis, une vague d’observations est venue s’interposer, en 1946, en Scandinavie : c’est celle des « fusées fantômes ». Juste dans la période de confusion qui suivit la fin de la 2ème guerre mondiale.
Il s’agissait
non plus, cette fois, de points ou sphères lumineux « amorphes »,
mais de « corps physiques formés » décrits comme des cigares ou des
disques. Les journaux français s’en firent l’écho d’autant que certaines
observations locales avaient, semble-t-il, la même source (région de la Mer Baltique ). Ainsi,
en janvier 1946, un avion américain C-54 arrivant sur Paris, « vit une
étoile filante brillante apparaître à 35 degrés au-dessus de l’horizon. Elle
décrivit une petite hyperbole descendante puis se mit à rebondir ou ricocher
pour réapparaître après avoir disparu. A Dijon, le 20 août 1946 : « d’énormes
projectiles allongés passèrent au-dessus de la ville à des vitesses
prodigieuses et avec un sifflement bruyant ». Des « fusées »
furent signalées à Chatillon-sur-Saône et en Lorraine, en septembre.
Mais
ce n’était rien par rapport à ce qui se passait en Scandinavie. Selon La Résistance
du 19 juillet, « durant les derniers mois, la population du sud de la Suède et quelques témoins au
nord ont été profondément troublés en apercevant, de temps à autre, surtout de
nuit, des météores brillants, se déplaçant à des vitesses fantastiques et
traversant leur ciel ».
L’Aurore du 27 juillet écrivait : « Plus de 500 projectiles
propulsés comme des fusées sont dits avoir été vus au-dessus de la Suède depuis le début du
mois. Selon certaines sources, ces projectiles qui zèbrent le ciel suédois
ressemblent à des avions à réaction mais font beaucoup moins de bruit qu’un
engin de ce type ».
Certaines
« fusées » furent détectées au radar. Une photo fut même reproduite
par le Daily Telegraph, en août, montrant un objet ressemblant
à une comète repéré au-dessus de la banlieue de Stockholm. Le cliché agrandi
mit bien en évidence la présence d’un « projectile » au milieu des
flammes.
Tout avait commencé en février, en Finlande, où
une station radio d’Helsinki faisait état « d’un nombre anormalement élevé
de gros météores signalés près du cercle arctique ». Le Danemark, la Norvège , la Grèce , l’Italie, l’Afrique
du Nord signalèrent ces fameuses « fusées fantômes », comme elles
resteront qualifiées dans l’histoire.
En Suède, on les repéra surtout entre mai et juillet 1946. « D’après
les services officiels suédois, plusieurs milliers d’observations furent
analysées durant cette période », écrit l’ufologue J. Vallée qui en étudia
en détail les modalités dans un livre malheureusement jamais traduit en
français.
Entre
le 9 et le 12 juillet, il y eut une centaine de signalements par jour. Le 6
août, le Ministère de la
Défense suédois qui était en alerte permanente annonçait
officiellement : « Des fusées radio-contrôlées viennent précisément
du sud sur notre région ». Ces « fusées » étaient décrites en
vol horizontal avec un bruit « monotone » de moteur turbo-jet.
« Une structure en forme de cigare argenté dégringola vers le sol, près de
Ockelbo, le 9 juillet, selon le journal Morgon Tidningen ».
Plusieurs de ces « fusées fantômes » suivies d’une traînée de
fumée s’écrasèrent ou explosèrent avant de toucher le sol, brisant
parfois un grand nombre de vitres. On annonça 80 « crashes » pour la Suède et la Norvège , certains au sol,
dans la mer ou les lacs. Dans certains cas, les débris recueillis ne révélèrent
rien d’extraordinaire : « des scories non métalliques, plus
autres matériaux communs ». Dans d’autres, 12 juillet par exemple à
Sundsnall Beach, ce fut « un petit cylindre avec des fragments de papier
ou de film accrochés autour » ou bien, en un cas similaire, au Danemark,
un fermier trouva fiché en terre un même objet portant des fils de cuivre. On
vit les militaires suédois sonder le fond des lacs pour tenter d’y récupérer
les restes d’un engin abîmé.
Les
descriptions, comme on le voit, étaient diverses et variées mais celles
revenant le plus souvent parlaient de « boules de feu avec queue » et
d’ «objet brillant en forme de cigare ». Certain engin égaré à basse
altitude de 3 m
de long présentait même des lettres peintes sur ses flancs ! Beaucoup
apparaissaient comme des « objets métalliques », réfléchissant la
lumière.
Un
pilote de l’armée suédoise, le 14 août, signala un objet cylindrique de 15 m de long et 1 de diamètre,
volant 60 mètres
plus haut que lui, sans aile ni gouvernail, ni superstructure : comment un
tel missile pouvait-il ainsi voler à l’horizontale ? Il y avait là un
prototype révolutionnaire ! Du coup, une censure partielle fut imposée à
la presse sur le phénomène.
Le 13
août, un groupe de scouts danois observa un objet ressemblant à une fusée
passer à grande vitesse à une hauteur de 500 mètres . Le même
jour, c’était un objet cylindrique de 1,5 m de long, observé par un témoin à
Karlskrona, en Suède. Tout s’estompa mystérieusement à l’automne. A partir de
fin 1947, les rapports devinrent sporadiques dans cette région. Restait une
énigme qu’il faut maintenant analyser
avec le recul.
Qu’étaient donc ces mystérieuses « fusées
fantômes » signalées en nombre en Scandinavie en 1946 ? Des météores,
comme on le décréta au début ? Ils avaient des habitudes plutôt curieuses
pour un phénomène astronomique somme toute bien connu volant visiblement trop
bas ! Des fois à peine au-dessus de la cime des arbres qu’ils
faisaient bouger !
De
même, pour des bolides, ils se déplaçaient vraiment trop lentement (durée d’observation :
plus de 10 minutes près d’Helsinki). Et il y même un cas incroyable relaté par
J. Clark, en mai 1946, où le « météore » fut décrit comme une
« coupole » (pas loin d’une soucoupe) avec des hublots ovales et des
lumières clignotantes. Sous les yeux d’un témoin de Angelholm, à 60 km de Malmo, il atterrit
en douceur sur le sol et trois hommes en sortirent portant bottes foncées,
lunettes, ceinture noire autour de leur veste et casque transparent sur la
tête. Un météore habité !
Bien vite des témoignages divers vinrent infirmer la
plausibilité de l’hypothèse météoritique. Le Monde du 9 août 1946
relatait le témoignage du Lieutenant L. Nackman, du Ministère de la Défense suédoise, qui
avait vu un des objets comme une sphère de feu entourée de flammes de couleur
jaune : il volait à une altitude d’environ 1000 mètres et sa
vitesse, malgré sa hauteur, permettait à l’œil de suivre sa course. Selon les
experts, un possible météore est absolument à rejeter pour ce cas-là. Le 13
juillet, un objet lumineux maintenant sur tout l’horizon une altitude constante
se démarquait aussi nettement de la trajectoire d’un météore.
La deuxième hypothèse fut celle de « bombes
volantes » guidées issues de tirs de missiles par l’U.R.S.S, des
bombes d’origine germano-soviétique. La Suède , restée neutre durant la guerre, avait-elle
été choisie comme champ expérimental, ce qui aurait expliqué ces intrusions
dans son espace aérien ? Qui était visé ? « La Suède est devenue une zone
secrète pour des tests d’armes », écrivait le Svenska Dagbladet,
du 9 juillet. L’apparition cet épisode 10 mois après la fin de la seconde
guerre mondiale fut-elle une coïncidence ?
Certains virent dans ces démonstrations « une
riposte des Soviétiques aux essais nucléaires américains à Bikini ».
Utilisaient-ils leur base de Stolpmünde, non loin de la ville polonaise de
Ustka, donnant sur la
Baltique ? Mais pourquoi au-dessus de la Suède alors qu’ils
disposaient d’un territoire d’expérimentation si vaste ? Ces
« bombes » inoffensives étaient-elles lancées pour des raisons
psychologiques : une manœuvre d’intimidation ? Les explosions en vol
au moins s’expliquaient puisque près d’un tiers de tous les missiles allemands pendant la guerre se désintégrèrent avant d’atteindre
leur cible.
Deux arguments étaient avancés à l’appui
de cette thèse : les engins semblaient provenir de la direction de Peenemünde,
là où les Soviétiques s’étaient approprié les restes du projet d’Hitler de
fusée V intercontinentale, et l’intérêt manifeste des Américains dans la
situation. Sous couvert d’un déplacement à caractère « pétrolier »,
le Général J. Doolittle se rendit sur place. Mais, on a appris plus tard, que
les Soviétiques, en réalité, étaient tout aussi surpris de l’apparition de ces
mystérieuses « fusées fantômes ». La presse communiste eut plutôt tendance de tourner en ridicule
ces histoires de « fusées fantômes » ou feignit l’ignorance.
Le champ d’action des sinistres V-2 avait-il été porté à
plus de 1000 km en leur ajoutant des ailes (plusieurs témoignages en
firent état) ? Des renseignements récents ont révélé (1994) que les Soviétiques
ne récupérèrent à Peenmünde/Nordhausen que des miettes (pièces détachées) et qu’il
leur fallut 2 ans et demi pour tirer un missile dérivé des V-2 (octobre 1947).
Onze V2 reconstituées furent ainsi lancées bien après que l’épisode des
« fusées fantômes » se soit estompé comme toute vague d’ovnis qui se
respecte.
Les missiles, si missiles il y avait, adoptaient aussi un
étrange comportement : ils avaient la faculté de changer de direction. A
basse altitude, certains témoins décrivaient des motifs peints en rouge dessus.
L’aviation norvégienne, en juillet, se fendit d’une explication qui fit long
feu : des phares d’atterrissages d’avions d’un nouveau type en cours d’expérimentation.
S’il s’agissait d’un nouveau type d’engin volant, il se
distinguait de ses prédécesseurs par un vol particulièrement silencieux.
Etait-il propulsé par un moteur nucléaire ?
Quant au reste, c’étaient des feux d’artifice assurément
ou bien « une tornade en connexion avec un éclair ».
La conclusion définitive du Ministère de la Défense suédois, dont un
comité spécial avait été nommé dès le 10 juillet pour s’occuper du problème,
fut que les rapports à une large majorité résultaient de mauvaises
interprétations de phénomènes aériens ordinaires.
Mais un résiduel de 20 % n’avait pu être expliqué. L’incontournable
sociologue de service inférait déjà que l’hystérie croissante – la paranoïa -
était certainement due aux tensions internationales intenses du moment :
début de la guerre froide, contexte de demande publique de réduction des
dépenses de défense en Suède. On parla
de « psychose des fusées », d’hallucination collective ou même d’hystérie.
Certaines observations ambiguës pouvaient-elles s’expliquer par l’imagination
de l’observateur ?
Alors : phénomène astronomique, ou bien
« terrestre », « ballons lumineux », tests de fusées
récupérées en Allemagne par les Soviétiques ? La « déclassification »
de certains documents officiels n’a pas levé l’énigme. J. Vallée souligne que
« personne, à l’époque, ne proposa que les engins, qui étaient évidemment
réels, pourraient être d’origine interplanétaire ». C’est en effet une
lacune qu’il convient de combler.
Publié en 2 fois dans Dimanche Saône & Loire des 30 juin et 7 juillet 2002 puis dans LE MONDE DE L’INCONNU, n°322, octobre-novembre 2006.
Pour en
savoir plus :
Loren E. Gross, The
Mystery of the Ghost Rockets, 68 pages, publication privée de 1974 et 1982,
Fremont, Californie.
Jan L.
Aldrich, The Ghost Rocket File, Fund
for UFO Research, 2000.
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