Eureka !
Par Michel Granger
C’est le cri « humain » par excellence, celui qui vient directement du cerveau. Le « Aha » créatif à nul autre pareil, la décharge de notre raison, l’éjaculation de notre perspicacité.
J’ai toujours eu un grand respect pour les inventeurs. Entendons-nous bien, n’est-ce pas : pour les vrais ! Pas les tâcherons du plan d’expérience, ni les pilleurs d’idées des autres.
Ayant été moi-même chercheur pendant plus de 20 ans, j’ai rencontré, hélas, plus de prédateurs intellectuels que d’authentiques découvreurs.
La méthode pour inventer n’est pas inventée
Y a-t-il une méthode efficace et rationnelle pour créer quelque chose d’original, résoudre un problème par une solution inédite, inventer quoi ?
La formule linéaire de généralisation consistant à « déplacer » une solution d’un domaine à un autre et que j’ai vue prônée par de faux professeurs Nimbus n’est qu’un ersatz, un succédané pitoyable, grâce auquel certains médiocres chercheurs de carrière se sont fait une réputation usurpée .
L’acte créateur est d’une tout autre espèce touchant à l’essence même de la pensée. Comme l’affirmait en 1985, le grand Irving Chargaff, fondateur de la biologie moléculaire : « Il y a trop aujourd’hui de recherche systématique, analogiques, au cours desquelles des choses prévisibles sont trouvées. Les vraies découvertes sont, elles, imprévisibles ».
Imprévisibles et newtoniennes
C’est ainsi que nombre d’inventions majeures ont été faites sans planification stricte et autres soucis de la productivité moderne. La créativité humaine ne se gère pas comme les stocks de marchandises ou alors, il n’en sortira que des évidences, l’esprit d’innovation étant tué par les lourdes structures d’encadrement mises en place tout autour.
La société américaine BP semble bien l’avoir compris qui a adopté une stratégie unique pour son unité de recherche, en réunissant un groupe d’individus « optimistes » et les plaçant dans le contexte de liberté et d’encouragement dont ils ont besoin pour « permettre à leur créativité de s’épanouir ». Certaines sociétés françaises font hélas exactement le contraire.
Il s’agit pourtant ni plus ni moins que de faire en sorte que la pomme qui tomba de l’arbre sur la tête de Newton ne lui fit pas seulement une bosse mais lui inspira la théorie de la gravitation. Les laboratoires de recherche sont remplis de crânes bien pleins et bosselés sans que le moindre « eurêka » ne retentisse. Il leur manque la sérénité propice aux flashes créatifs qui trop souvent s’apparentent au rêve ou à l’expérience mystique.
Inventions rêvées
Les exemples sont légions de découvertes et d’inventions « rêvées »; en chimie par exemple, dès 1869, Dimitri Ivanovich Mendeleyev voit son fameux tableau périodique des éléments avec tant de cases vides qu’elles se rempliront au fur et à mesure des découvertes futures ! L’image du serpent Ourobouro qui se mord la queue, surgie dans l’esprit embrumé de Friedrich Kékulé, s’avéra le meilleur moyen de décrire la molécule de benzène, dont il cherchait vainement la structure. Le premier compteur à gaz de Sir Charles V. Boys fut détourné d’une vision onirique. L’aiguille trouée de la machine à coudre fut suggérée à Elias Howe quand, dans un cauchemar, des cannibales imaginaires le chargèrent avec des lances trouées...
Et que dire du rêve de Charles Babbage qui, en 1830, inventait l’ordinateur. Les premières machines digitales virent le jour plus d’un siècle après. De même, James Watt conçut le premier moteur à vapeur en deux jours et mit 10 ans pour le réaliser !
Mais il y a encore un mécanisme plus subtil du principe « Eurêka ».
Inventions fortuites
Les Anglo-saxons parlent de « sérendipité », ayant forgé ce nom à partir d’un conte de fées !
Ne cherchez pas dans vos dictionnaires, ce mot est tabou en français ! Il s’oppose, en effet, à notre cartésianisme légendaire en remarquant que très souvent (trop) un accident heureux figure à l’origine des grandes inventions.
La place me manque pour donner des exemples relevant de cette « sérendipité ». C’est C. Colomb découvrant l’Amérique alors qu’il cherche la route des Indes, Sir Alexander Fleming éternuant dans un bouillon de culture, ce qui mettra fortuitement en évidence l’action antibiotique de la pénicilline. C’est aussi le Dr Plunkett fabriquant accidentellement du téflon en stockant au froid un mélange qui, sans cela, aurait conduit à une magistrale explosion... Et, plus récemment, la contamination de protéines conduisant à une méthode d’électrophorèse pour identifier instantanément différentes souches de bactéries.
C’est « la Nature qui chuchote à notre oreille », aiment à dire les intuitifs. Sur cette idée de prescience innée, nous avons écrit, un collègue et moi, un livre intitulé : « L’Homme conscience de la Matière » , édité en 1983 aux Editions Présence.
Stimulation ratière
Je voudrais terminer en fournissant une réponse indirecte à la question : « Y a-t-il encore beaucoup de choses à inventer ? »
Savez-vous ce que proposa Charles H. Duell, directeur du bureau des brevets américains en 1899 : ni plus ni moins que de fermer son organisme « puisque tout ce qui pouvait être inventé l’avait été » ?
Qu’un tel timoré de l’imagination ait pu accéder à ce poste contraste avec la fécondité de certains thèmes de prédilection pour inventeurs en mal de créativité. Le record est tenu, devinez par quoi ? Plus de 4000 brevets y ont été consacrés : aux pièges à rats ! L’archétype de l’invention qui préoccupait déjà les Babyloniens ; depuis la conception de la tapette, en 1838, le problème n’a cessé de hanter l’hémisphère droit du cerveau humain, là où précisément on sait que se situe le centre de l’intuition.. Il en a résulté des dispositifs à guillotine, des harpons, des adhésifs, des systèmes d’électrocution, de noyage, d’asphyxie etc…
Le piège à rats le plus cher est la souricière déclenchée par un rayon laser : coût 7000 F. Le plus sophistiqué, il a reçu l’oscar de la perfection, détecte la présence du rongeur, lui tire une flèche à travers le corps, l’écrase et le calcine entre deux plaques et, enfin, disperse ses cendres. Le réarmement est automatique...
Comme l’est heureusement celui du ressort de notre faculté créatrice à inventer.
Publié dans Le Courrier de Saône & Loire Dimanche du 25 mars 1990.
Republié dans Science & Magie n°38, juin-juillet 1995.
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