L’énigme du « déjà-vu »
par Michel Granger
Publié dans Le Monde Inconnu N°120, octobre 1990
Déjà-vu, déjà-vécu, déjà-entendu. Sous ce vocable adopté tel quel par les Anglo-saxons eux-mêmes, se cache un phénomène psychologique spontané commun très controversé ; sans que sa réalité patente en soit niée pour autant, il y a ceux qui pensent qu’il est normal et qu’on doit lui trouver une explication et les autres qui l’imputent à un trouble et, dès lors, cherchent à le rattacher à quelque dysfonctionnement psychique. Il est vrai que le caractère intrinsèquement “anachronique ” de l’expérience du déjà-vu a tout pour opposer les parties qui peuvent en revendiquer la production : la psychologie, la médecine et la parapsychologie.
Mais d’abord, qu’est-ce que le « déjà-vu » ? L’expérience typique est celle où, visitant un lieu inconnu, pénétrant dans un édifice pour la première fois, étant confronté à une situation sans conteste inédite, brusquement vous êtes envahi, submergé (terme souvent utilisé), par un sentiment saisissant qui vous laisse bouche bée avec cette certitude qui vient se s’imposer à vous avec fulgurance. « Bon sang, j’ai déjà vécu cela! Je me suis déjà trouvé en ce lieu. Je connais cet endroit ». Mais où et quand ? Aucune réponse ne vous vient ; même après un effort d’analyse rétroactif des faits, vous confirmez que vous n’avez pu vous trouver là, jamais de votre vie ! Par exemple, c’est la première fois que vous voyagez dans ce pays. De même, les gens qui sont devant vous, dont vous savez par avance ce qu’ils vont dire - avec stupéfaction vous découvrez qu’il en est bien ainsi et vous enregistrez là une expérience de « déjà-entendu » - c’est bien la première fois qu’ils vous sont présentés, que vous les rencontrez etc. En fait la scène entière que vous vivez, c’est comme si vous l’aviez déjà vécue. Un peu comme un film visionné deux fois à un grand intervalle de temps entre ! Cette étrange impression laisse alors en vous un fort sentiment d’incompréhension et de perplexité.
Un phénomène « comme si »
Comme on a commencé à la voir, toutes les sensations humaines sont sujettes à ce même processus qualifié de « comme si ». Comme si vous aviez déjà vu ce paysage, cette disposition des lieux. Comme si vous aviez déjà pénétré dans cet édifice ? Comme si vous aviez été auparavant en cette assemblée de gens étrangers ? Comme si vous aviez déjà surpris cette conversation entre eux ou bien entre des amis dont vous êtes sûr que vous ne les avez jamais rencontrés ensemble dans de telles circonstances ? Comme si vous aviez déjà goûté ce plat dont la cuisinière qui vous reçoit aujourd’hui brigue l’exclusivité... Comme si vous aviez déjà senti ce parfum entêtant ou désagréable... Les exemples sont infinis se regroupant sous le nom générique de « déjà-vécu ».
Freud décrit même le « déjà raconté », correspondant au sentiment d’avoir déjà dit ce qu’on va dire.
Le philosophe américain R. W. Emerson mentionnait cette expérience non orthodoxe dans son cours en ces termes : « une expérience frappante que presque tout le monde confesse au grand jour à propos de passages particuliers d’action et de conversation qui se reproduisent dans le même ordre soit en rêvant, soit en marchant, et le soupçon qu’on a été déjà dans cette pièce en compagnie de ces mêmes personnes, qu’on a entendu précisément ce même dialogue, à la même heure, mais sans savoir quand... ». On ne saurait être plus clair qu’il s’agit bien du même processus.
Le terme de « déjà-vu » lui-même a été proposé officiellement en 1896 par F. L. Arnaud.
Une impression commune et subjective
Des nombreux sondages effectués sur le « déjà » vu (D.V.), il ressort qu’au moins deux personnes adultes sur trois en ont été la source une fois dans leur vie. R.A. Baker concède « presque tout le monde en a été le siège une fois ou l’autre ».
Paradoxalement, malgré cette fréquence élevée, peu d’études sérieuses ont été entreprises sur la question du D.V. quoique beaucoup de gens, souvent incompétents, se soient targué d’en donner une explication.
A ma connaissance, deux thèses seulement ont été consacrées au « déjà vu » ; la première, en 1983, est celle du Dr Vernon M. Neppe, au département de psychiatrie de l’Université Witwatersrand, en Afrique du Sud qui s’inscrit dans une optique psychologique. Pour réaliser ce travail, elle interviewa pas moins de 2000 personnes ayant ressenti le D.V. C’est elle aussi qui nous apprend que le plus jeune sujet ayant rapporté une telle expérience est un garçonnet de 4 ans ! Souvenons-nous en au moment d’aborder certaines explications proposées.
Plus récemment, en 1993, H.N. Sno a soutenu un travail orienté sur la perspective psychiatrique du D.V. à l’université d’Amsterdam, aux Pays Bas, courant qui tend à s’imposer actuellement.
Les autres publications scientifiques consacrées au « déjà –vu » sont de T.F. Richardson & G Winokur (1968) sur des patients agnostiques traités en psychiatrie et en neurochirurgie et celles de E.B. Carlson & Armstrong (1994) en rapport avec les troubles de dissociation ; moins spécifiquement, le déjà-vu a été associé officiellement aux expériences hors du corps (H.J Irwin) et aux séquelles post-traumatiques relatives à l’enfance.
Références historiques et littéraires
Les références, dans l’histoire, au phénomène sont très peu nombreuses. Ovide serait le premier à en avoir parlé en 43 av. J.-C. St Augustin, 400 ans plus tard, pensait que le D.V. est causé par l’influence d’esprits trompeurs et méchants. Il se passera ensuite près de 14 siècles sans qu’on n’y prête plus attention.
Mais des auteurs aussi illustres que Walter Scott, Shelley, Marcel Proust, Tolstoï y firent allusion dans leurs livres. En particulier Charles Dickens, dans son inoubliable David Copperfield, y a consacré ces belles lignes :
« Nous avons tous quelque expérience d’un sentiment qui nous envahit de temps à autre, le sentiment que ce que nous sommes en train de dire et de faire a été dit et fait auparavant, à une époque reculée, le sentiment que nous avons été entourés (...) par les mêmes visages, les mêmes objets et les mêmes circonstances, et que nous savons parfaitement que ce qui va être dit ensuite, comme si nous nous le rappelions soudain ! »
Rudyard Kipling raconte cet étrange incident, dans son livre « Quelque chose sur moi-même ». Un jour, il assistait à une cérémonie commémorative de guerre à l’abbaye de Westminster, lorsque sa vue fut obstruée par un homme vigoureux situé sur sa gauche. L’homme avait l’attention focalisée sur une plaque de marbre de forme irrégulière formant carrelage et quelqu’un lui serrait le bras murmurant ces mots que Kipling put discerner : « J’aurais un mot à vous dire ». Kipling ressentit alors un intense sentiment de frayeur : tous les détails de cette scène, y compris la phrase échangée, correspondaient exactement aux péripéties d’un rêve qu’il avait fait six semaines plus tôt et qui était encore vivace en son esprit.
Maeterlinck parle d’une expérience similaire vécue avec un ami, lequel en fut complètement mystifié lorsque l’écrivain décrivit à l’avance tous les détails de ce qui allait arriver.
On voit que de nombreux exemples de déjà-vu font référence à un rêve antérieur non oublié qui anticipait la réalité. C’est pourquoi Freud, à cause de sa contribution importante à la compréhension des rêves a, plutôt indirectement que directement, influé sur les implications du « déjà-vu ».
Lz « déjà-vu » et le professionnels de la santé mentale
Les médecins s’en préoccupèrent seulement il y a un siècle et demi et c’est Emile Boirac, recteur de l’Université de Dijon qui fit la première étude scientifique du D.V.
Il est symptomatique de noter que l’expérience de D.V. est si chargée émotionnellement, si entourée d’intimité (il est toujours difficile de la rapporter à un tiers, c’est un moment émotionnel unique empreint parfois d’un côté quasi sensuel), si nimbée d’une auréole pseudo-psychique - pour ne pas dire mystique - que chaque branche de la connaissance n’a eu cure de s’en débarrasser, de l’évacuer lâchement, soit en pondant une explication exotique qui ne renseigne pratiquement en rien sur sa véritable origine, soit en la rejetant en pâture aux pseudo-sciences, faute de ne pouvoir l’intégrer (et la digérer) dans les schèmes rigoureux de sa propre discipline.
Le Dr Vernon. M. Neppe a recensé, dans la littérature scientifique, pas moins de 44 interprétations différentes du D.V, la plupart émanant de non-spécialistes, ce qui n’est pas, à notre sens, une raison de les ignorer puisque si peu d’hommes de science ont décidé d’entreprendre des études sur la question. Voyons en donc quelques-unes avant de passer à la théorie acceptée officiellement.
Retard à l’allumage dans le cerveayu
Les premiers à se mouiller en portant quelque intérêt au D.V. sont les neurophysiologues alors que leur science était encore dans les limbes; On comprend qu’il en ait résulté, ainsi, une théorie à tendance pathologique : l’individu, sujet à une attaque de « paramnésie » (nom savant du D.V.), serait l’objet d’une illusion, voire d’une hallucination. Un mécanisme astucieux - mais véridique ? - fut avancé, en 1884, par le médecin britannique Arthur Wigan.
Selon lui, on y trouverait, à la source, le fait qu’un hémisphère de notre cerveau devient conscient d’un événement donné une fraction de seconde avant l’autre. Cette idée empirique d’une perte temporaire de synchronicité entre les hémisphères cérébraux, inventée pour solutionner le modeste D.V., recelait une géniale intuition puisque, depuis, on sait qu’il en est ainsi du point de vue cérébral dès lors que R. Efron a montré que chacune des deux moitiés de notre cerveau n’a pas le même comportement.
Sachez que, pour un droitier par exemple, un stimulus (excitation sensorielle apte à provoquer une réponse de l’organisme sous formes diverses : mouvements, réflexes, paroles etc.), délivré à la moitié gauche du corps, transite tout d’abord par l’hémisphère cérébral droit avant de parvenir au gauche 2 à 3 millisecondes plus tard, là où se trouve précisément le sens de la parole. Pendant ce laps qui, semble-t-il, s’allongerait avec certaines lésions ou tout simplement sous l’effet de la fatigue, le sujet serait alors incapable de verbaliser la sensation bien qu’il en eût déjà accusé intimement réception. Ce « retard à l’allumage » plus ou moins long place le D.V. au rang des anomalies résultant d’un cerveau défaillant. 66 pourcents des gens sont-ils dans ce cas? J’en doute.
Un décalage du même type pourrait se produire au niveau des yeux, lesquels, le gauche comme le droit, transmettent aussi l’influx visuel d’abord dans l’hémisphère gauche. Ainsi, l’image de l’œil droit arriverait "en retard" et trouverait le cerveau déjà informé par l’œil gauche qui bénéficie d’un « raccourci ». Il en résulterait une sensation de D.V., bien que personne n’ait jamais apporté la preuve qu’il en est ainsi. L’influx nerveux n’est-il pas réputé se déplacer à la vitesse de la lumière ?
Cette thèse a anticipé une importante théorie moderne du D.V. : l’explication neurophysiologique.
La thèse neurophysiologique
Tout à fait normalement, les expériences de D.V. ont été étudiées par les neurologues qui s’intéressent à la science du cerveau et ils en parlent en termes de réminiscence ou fausse mémoire, ce qui indique qu’ils refusent au phénomène tout caractère merveilleux.
Il est un fait que le D.V. est souvent éprouvé chez les méditants et les drogués, mais aussi chez les schizophrènes et les épileptiques. 10% de ces derniers ont des expériences de prescience juste avant la crise. Par hypnose on serait même parvenu à susciter des sensations de D.V.
Des essais de provocation de D.V. par stimulation électrique du cerveau furent réussis par le Dr Wilder Penfield, à l’Institut neurologique de Montréal et répétées par un groupe de chercheurs de l’Université de Californie. Ils consistaient à exciter le lobe temporal malade de patients épileptiques au cours de la chirurgie cérébrale qu’ils subissaient sous anesthésie locale afin d’en tirer des « réactions ». Penfield utilisait un fil électrique soumis à une tension de 60 volts et ainsi les malades revivaient des épisodes de leur passé, tout en rapportant des sensations de D.V. telles que : « Je sens que je suis déjà venu dans cette salle d’opération ». Les Américains montrèrent, en outre, que le D.V. pouvait être induit en stimulant le lobe temporal non atteint par la maladie, ce qui placerait le D.V. au rang d’une illusion causée par une saute électrique au plus profond des lobes temporaux du cortex cérébral.
Les neurologues se cramponnent désormais à cette interprétation même si cette explication ne peut prétendre couvrir la totalité du phénomène.
Quant à certains psychiatres, ils rejettent purement et simplement ces témoignages comme de pures illusions. Ainsi élude-t-on lâchement le phénomène qui demeure un mystère, surtout pour ceux qui en sont régulièrement le siège, et on a vu qu’ils sont nombreux.
Inconscient et défense de l’ego
Une cause psychologique pour le D.V. a été développée notamment par Henri Bergson qui présuppose différents niveaux de perception mentale chez l’être humain et fait appel à une perception subjective ou à la conscience subliminale ; en quelques mots, votre inconscient serait prévenu de l’événement « anticipé » plus tôt que votre esprit conscient et il en résulterait une espèce de « préconnaissance » des faits. En clair, le D.V. viendrait de l’esprit qui précède parfois le cerveau dans la saisie d’une information. Or si on s’interroge encore aujourd’hui pour savoir si le cerveau c’est l’esprit ou bien le contraire, personne n’oserait soutenir que ce sont deux entités distinctes.
Cette théorie de la répétition involontaire ou fausse récognition mettant en œuvre des courts circuits cérébraux non pathologiques ne réunit plus guère d’adeptes.
Ou bien notre inconscient est-il un vaste entrepôt dans lequel aucune expérience, aucune pensée n’est perdue qui ne sera peut-être jamais rappelée au cours de l’existence, mais qui, un jour, par le jeu des circonstances, donnera un souvenir énervant de quelque chose de lu, vu, ou entendu et enregistré au dessous de notre seuil perceptuel ? Peu nombreux sont ceux aujourd’hui qui s’accrochent à cette explication prosaïque et, à tout prendre, peu crédible. De même qu’à celle de l’imagination parallèle.
Les maîtres de la psychanalyse n’ont pas, eux non plus, dédaigné le D.V.. Freud y voyait une fantaisie de l’inconscient ou une perception instinctive et inconsciente en rapport, bien entendu, avec l’ego, activée par quelque catalyseur circonstanciel. Il existerait un monde de fantaisie dans le subconscient humain donnant lieu, parfois, à des « interférences « . Et C. Jung, bien sûr, avança comme cause du D.V. le résultat de la résurgence chez l’homme de ses fameux « archétypes », ces instincts primordiaux enfouis dans les rythmes de la conscience dès la naissance ; ceux-ci lui permettraient de “se sentir chez lui dans une situation qu’il n’a pas vécue ” mais laquelle correspond à ces idées forces. Ces dernières étant en relation avec ces « expériences primitives et périodiques du subconscient » liées à l’inconscient collectif de l’humanité.
Pour le Dr Louis Linn, psychiatre à New York, le D.V. serait un dérivatif salutaire aux problèmes de tension psychologique. Le cerveau, gorgé des appréhensions et de l’anxiété qui nous habitent, déconnecterait brusquement - une soupape au stress en quelque sorte - causant des sensations de D.V. qui doivent être considérées comme des clignotants nous avertissant de lever le pied en ce qui concerne nos soucis de tous les jours.
Rêve oublié, préconnaissance ou réincarnation ?
Une autre solution envisagée au D.V. est celle du rêve précognitif oublié qu’on se rappelle brutalement quand il interfère avec la réalité présente. Vaste programme que cet aspect prémonitoire des rêves qui induiraient que nous vivons notre vie à l’avance à travers eux ! On verra que les psychiatres y ont recours sous une forme édulcorée.
On a aussi avancé l’hypothèse que le D.V. proviendrait d’une préconnaissance innée de notre futur, dont nous aurions perdu l’usage en nous « humanisant ». William James appelle ça le sens de la préexistence. Ces nombreux flashes de D.V. enregistrés dans la population moderne indiqueraient que nous sommes dans une phase de déblocage de ces pouvoirs occultés.
Séduisante est aussi l’idée selon laquelle le D.V. puisse être une distorsion de notre « sens » du temps : de cette manière, le présent serait perçu comme effectivement venant du passé. La « ré-intégration » est une variante impliquant que le passé tendrait à réintégrer le présent ( ?).
Plus osé encore, nous pourrions aussi avoir l’aptitude de créer des transpositions du temps -coïncidences, synchronicité - voire même de faire s’entrepénétrer le monde réel avec d’autres univers, soit issus de nous-mêmes, soit surgis des dimensions multiples adjacentes au nôtre. Des expériences psi multidimensionnelles ? Ces idées empiriques trouvent un écho surprenant aujourd’hui dans la physique d’avant-garde.
Certaines sensations de D.V. ont été pour quelques-uns tellement fortes tellement vivaces qu’elles les ont convertis totalement à la thèse de la réincarnation ou en terme plus moderne du « rebirth ». Sont-elles le souvenir, par delà la mort, d’épisodes d’une vie passée ? Le D.V. est-il une expérience indicatrice de la réalité de la survie après la mort ? Ou du mythe oriental de l’Eternel Retour ? En obligeant en plus à recourir à la théorie des existences cycliques ou de la périodicité de l’Univers, héritées de la philosophie hindoue et adoptée par les mystiques Gurdjieff et Ouspensky - puisque vous revivriez des mêmes épisodes dans des incarnations différentes - les expériences de D.V. ne sont pas, à mon avis, les meilleurs indices accréditant l’idée de la réincarnation.
Sue Alexander, lectrice californienne de la revue américaine FATE, a récemment émis l’idée que le D.V. fait partie de notre patrimoine génétique.
Et de prôner une base génétique du D.V. en se basant sur les exo-souvenirs des transplantés qui semblent provenir du donneur. « Ma théorie est que chaque chose que nous faisons ou que nous voyons est absorbée dans chacune des cellules de notre corps, pas seulement par notre cerveau. Ainsi l’enfant au moment de la conception recevrait certains « souvenirs » des générations qui l’ont engendré, ce qui pourrait générer des expériences de D.V. mais aussi des résurgences de vies passées, obtenues spontanément ou sous hypnose, qui ont tant fait parler d’elles en accréditant l’idée de réincarnation ». Ces souvenirs de vies passées (sur Terre ou ailleurs) furent étudiés dès 1910 par le psychiatre suisse Théodore Flournoy.
L’avis des parapsychologues
Rejeté par le système matérialiste qui ne lui voit qu’une cause pathologique, le déjà-vu aurait dû être le cheval de bataille des sciences psychiques, lesquelles cherchent désespérément des phénomènes très communs – on a vu que le D.V. l’est – et reproductibles (il y a des sujets très enclins aux expériences D.V.). Au point que s’il s’agit d’une manifestation de notre perception extra-sensorielle (E.S.P.), quel sujet d’étude privilégié ! Pas besoin d’aller chercher des sujets rares et souvent trop sollicités.
Eh bien, contre toute attente, les études parapsychologiques sur le D.V. sont rares et fragmentaires ou bien alors hors concept lorsqu’on assimile de fréquent D.V. à l’exceptionnelle cryptomnésie qui consiste à se souvenir de choses dont nous n’avons aucune mémoire consciente… Heureusement deux grands maîtres reconnus dans ce domaine s’y sont penchés quelque peu.
D’après W.H.Myers, il se pourrait que le D.V. ne soit qu’un effet de télépathie : vos amis, vos parents, auraient inconsciemment imprimé des images dans votre subconscient et celles-ci vous paraîtraient alors familières quand vous êtes confronté à elles. Astucieux! Non ? Dommage que cette suggestion n’ait pas incité à plus de recherche. Il est vrai que l’existence de la télépathie reste à démontrer.
Pour Hereward Carrington, une personne « reconnaîtrait » un endroit inconnu d’elle parce que, en fait, elle s’y serait déjà rendue, non pas en chair et en os, mais par voyage astral ou décorporation, c’est à dire en « sortant » hors de son corps. On sait que, par ce processus plutôt fantastique, des sujets prétendent avoir visité d’autres planètes du système solaire d’où ils auraient ramené des informations entérinées plus tard, à grand frais, par les vecteurs technologiques d’exploration spatiale. On a vu que ce rapprochement D.V./OOBE est encore d’actualité aujourd’hui même s’il se heurte à l’inconvénient, lui aussi, d’expliquer un mystère par un autre.
Enfin Charles Fort, l’iconoclaste de Brooklyn, avait, quant à lui, une interprétation toute personnelle de l’expérience du D.V. : « il y a peut-être des gens, écrivait-il, qui ont été téléportés et en ont rapporté, sans qu’ils le sachent ou sans n’avoir qu’une très faible impression, ces réminiscences impossibles ».
Il est temps maintenant de passer à la thèse en vigueur sur le D.V. Peut-être moins “poétique ”, moins encline à enflammer l’imagination, elle ravale ces flashes mnémoniques à une anomalie de ma mémoire.
En tout cas, la thèse de la résurgence de vues similaires mal enregistrées et oubliées donnant une impression fugitive de « familiarité « , ne mérite pas plus que deux lignes.
Trouble de la mémoire
Normalement, l’impression de D.V. ne dure que quelques secondes – voire quelques minutes – mais sous certaines formes maladives, il peut se prolonger ou même devenir continu. De même, les scientifiques ont volontiers fait l’amalgame du D.V. avec le J.M. (jamais-vu ou cryptamnésie) qui consiste à ne pas reconnaître les endroits et les gens qui nous sont familiers. Comme ces malades qui se refusent à reconnaître leur femme en tant que telle et la traite d’imposteur ! Il me paraît quelque peu malhonnête de relier une expérience vécue par deux personnes sur trois à un phénomène d’amnésie nettement plus rare et nettement plus « pathologique » expérimenté plus par des gens perturbés que normaux, mais les psychiatres ne s’embarrassent pas de tels scrupules au risque de jeter le bébé avec l’eau du bain.
De la sorte, le D.V. a été associé à des lésions du globe temporal, à de l’épilepsie locale, à des crises de paranoïa (illusion de sosies)… Extrême fatigue, stress, anxiété, épuisement seraient aussi propices à déclencher le D.V. chez certains sujets.
Ainsi le D.V. serait un défaut de remémoration, une distorsion psychique, une difficulté à se souvenir quelque chose que l’on a vécu préalablement suite à la répression, au refoulement, d’une expérience vécue naguère, douloureuse ou menaçante pour soi.
De même, il pourrait y avoir confusion - faux D.V. ou approximatifs – entre des ressemblances de lieux, de personnage, des convergences de situation. R. A. Baker illustre cette idée en disant que, bien que vous n’ayez jamais arpenté cette rue particulière auparavant, vous en avez arpenté tant d’autres qu’il s’en trouve très certainement une qui présente une série de détails communs. L’argumentation me paraît assez pauvre à ce niveau et ne me convainc aucunement. Ni les deux exemples personnels du psychologue arguant qu’ayant trouvé un endroit familier durant la dernière guerre, un ami lui montra qu’il l’avait vu sur un tableau de peinture et qu’une autre fois, le sentiment « familier » lui fut inspiré par une photographie. Et quand il cite comme source de « multiples déjà-vu », les prospectus illustrés des agences de voyage, je me demande s’il ne se moque pas un peu de nous !
Reed, dans son livre : « La Psychologie de l’expérience anormale », met purement et simplement le D.V sur le compte d’un exemple de « fausse mémoire », ce qui me paraît trop facile, en l’occurrence. Mais c’est un moyen subtil d’évacuer le problème en substituant à la question : « Pourquoi la personne pense qu’elle reconnaît la situation actuelle ? » par celle, plus clinique : « Pourquoi n’est-elle pas capable de se souvenir où elle l’a rencontrée auparavant ? ».
Sur cette lancée qui amalgame les extrêmes avec les 2/3 de la population, on a mis le D.V. sur le compte de la dépersonnalisation et de la déréalisation des faits. Ce sont des cas encore une fois nettement « pathologiques » où le sujet atteint a la sensation d’être détaché de lui-même (OOBE) ou bien que, lui restant inchangé, c’est son environnement qui lui paraît non-réel. Dans ces cas-là, on a bien, en effet, établi une corrélation avec la fatigue, le stress et souvent les abus d’alcool et de drogue.
Une tentative habile d’éluder le D.V. a été aussi de jouer sur le processus de la remémoration en démontrant que les souvenirs ne remontent pas longtemps à la source originelle de l’événement mais à la « reconstruction » de celui-ci qu’on en a fait, la dernière fois qu’on l’a évoqué, tel que le psychologue Belbin l’a prouvé dans une étude datant de 1950 ! L’intensité du D.V. serait dès lors à imputer au niveau de la reconceptualisation .
La tendance actuelle a « pathologiser » le D.V. transparaît clairement dans l’entretien avec le Professeur Jacques Touchon, de l’hôpital Lapeyronie de Montpellier qu’a publié le Quotidien du Médecin d’octobre 1996 (voir référence).
La « coupure de l’ambiance environnante » (périphrase pour décrire le D.V.) trouverait son origine dans l’épilepsie et serait associée aux illusions et aux hallucinations. 2/3 de la population active peut-elle donc être qualifiée d’hallucinée ? Plus de 60 % des gens sont-ils atteints de « pathologie psychiatrique caractérisée » apte à altérer notre appréhension du monde ?
La confabulation et les caractéristiques d’une personnalité quelque peu hystérique et obsessionnelle feraient le reste, du moins selon le Professeur Jacques Touchon.
Pour ma part, les éléments rassemblés dans cette mini-étude ne m’ont pas convaincu qu’on connaît actuellement l’origine du D.V. commun, celui dont vous et moi faites l’expérience. Le mystère demeure aujourd’hui à mon humble avis « un des plus fascinants mystères de l’Esprit ». Mais toute opinion argumentée que vous voudrez bien me soumettre permettra, peut-être, de faire un pas vers sa solution. Aussi vous incité-je à me faire part de vos remarques et commentaires éventuels.
Références :
1/H.N. SNO, The Déjà Vu Experience : A Psychiatric Perspective, Amsterdam, Université d’Amsterdam (1993).
2/V.M. NEPPE, The Psychology of Déjà Vu : Have I Been Here Before ? Johannesburgh, Université Witwatersrand (1983).
3/H.J. IRWIN, Childhood Antecedents of Out-of-Body and Déjà Vu Experiences, The journal of the American Society for Psyschical Research, Volume 90, N°3, juillet 1996.
4/R.A. BAKER, Hidden Memories, Prometheus Books, 1992.
5/ G. REED, , The Psychology of Anomalous Experience, Prometheus Books, 1988.
6/ W & M.J. UPHOFF, New Psychic Frontiers, Colin Smythe Ltd, 1975.
7/ Dr Marie-Pierre Du Crest, Le Quotidien du Médecin, 1er octobre 1996.
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