Epidémies de bris de pare-brise
Ou comment l’étrange peut s’insinuer dans la vie de tous les jours. Manifestation inexplicable ou épisode d’illusion collective ? A vous de choisir.
Dans les années 1951-54 (1), donc il y a plus de 50 ans, une mystérieuse contagion frappa simultanément les deux continents; surtout l’Amérique du Nord et la Grande Bretagne, mais aussi l’Italie qui signala des faits similaires. Ce n’étaient pas les hommes, ni les femmes, qui étaient touchés mais... les vitres, les carreaux, les glaces et spécialement les pare-brise d’automobiles ; des milliers furent ainsi détériorés. Bien que conduisant invariablement à du verre brisé, le phénomène ne se déroula pas partout dans les mêmes circonstances.
Le tireur fantôme du Surrey Sur la route de Portsmouth à Londres, dans une grande ligne droite bien dégagée de 2,5 km, entre Chobham et Esher, de mars 1951 à décembre 1953, près de 100 éclatements de pare-brise bizarres furent rapportés. La cause naturelle classique du caillou projeté par le véhicule d’en face fut écartée pour deux raisons : la chaussée était parfaitement lisse et les impacts avaient lieu principalement quand un seul engin empruntait cette section routière. Au contraire, le témoignage des victimes incita la gendarmerie locale à soupçonner quelque maniaque en mal de facétie balistique bien qu’aucun individu suspect n’ait jamais été repéré sur les bas-côtés fort bien aménagés au demeurant.
D’autant que la plupart de ces incidents avaient lieu de jour. La casse, cependant, prit toujours la forme de l’action d’un projectile, personne ne pouvant dire au juste si le choc n’avait pas été précédé d’une détonation ou d’un flash ou bien si l’une et l’autre étaient consécutifs à l’explosion de la plaque de verre. Par miracle, aucun conducteur ne fut blessé. Ni, ce qui ajoute au mystère, aucun missile ne fut retrouvé : caillou, balle, boulette, bille, etc.
Pendant des mois, Scotland Yard (excusez du peu) patrouilla sur les lieux, intervenant aussitôt qu’un nouveau cas se produisait, lâchant les chiens dans les fourrés, cherchant à localiser alentour la balle fantôme au cas où elle aurait rebondi. Devant l’impuissance à trouver un coupable, on parla de l’éventualité d’ondes de choc provoquées par les avions supersoniques. Mais pourquoi uniquement là ? Personne ne se hasarda à s’attacher à ce petit détail. Aux Etats-Unis, la force qui attaque le verre Dès juin 1952, un émule américain fit parler de lui en Illinois et en Indiana. Mais lui devait s’être équipé d’un efficace silencieux parce que nul ne fit état, là-bas, du moindre bruit venant s’ajouter à celui du verre cassé. De plus, les perforations étaient beaucoup plus petites, comme laissées par un fusil à air comprimé, mais trop petites même parfois. Quatre à cinq trous apparaissaient les uns à côté des autres comme si la carabine était à répétition. Ou, alors, plusieurs tireurs visaient la même cible.
A Kokomo, ville proche d’Indianapolis, on dénombra plus de 70 plaintes dans la semaine du 24 septembre 1952, soit concernant des vitres de voitures en stationnement percées, soit des vitrines de magasins ayant subi le même sort. En fait, les événements prirent un tour nouveau lorsque 1500 pare-brise de véhicules en mouvement ou à l’arrêt furent criblés de petits trous à Bellingham, Etat de Washington, en avril 1954. Le magazine Life y consacra plusieurs colonnes et précisait que les victimes ne savaient même pas comment cela pouvait se produire. « Brusquement, des étoiles disgracieuses fleurissent sur les pare-brise des voitures... même celles de la police. »
L’épidémie fut à son comble à Seattle où plusieurs centaines de vitres d’automobiles furent réduites en passoire dans la nuit du 13 au 14 avril 1954. Si c’était un vandale, il devait transporter sa provision de plomb dans une remorque et ne pas chômer de toute la nuit. Là encore, aucun projectile ne fut même une fois localisé. Le phénomène se déplaça ensuite vers l’Est en Ohio, Oregon, Michigan, Floride et plus loin encore. Une douzaine de ville jusqu’au Canada appelèrent l’attention sur des méfaits analogues. A Bromley, Kentucky, les orifices dans le verre variaient de la grosseur d’une tête d’épingle à quelques millimètres au maximum. Dans certains cas, il ne s’agissait même que de piqûres minuscules semblant évoluer comme si le verre était lentement « pénétré ». Une femme déclara avoir vu se produire le dommage dans son pare-brise alors même qu’elle le fixait. Elle décrivit le phénomène comme « le développement spontané d’une bulle dans le verre. » Des policiers américains du comté King, dans l’État de Washington, assistèrent à la multiplication des petits trous dans le pare-brise d’un camion de légumes qu’ils surveillaient. On était bien loin du canardeur insaisissable du Surrey. On parlait volontiers de « force mystérieuse inconnue et invisible, ennemie du verre... »
Les « piqûres » se manifestaient même sur des véhicules enfermés au garage. Un avion volant de Portland à Salt Lake City eut aussi la vitre du cockpit troué… C’est la faute à la bombe ! N’ayant en aucun cas réussi à prendre sur le fait un des membres de cette bande présumée de vandales qui, s’étant concertés par dessus l’Atlantique, avaient décidé de faire la fortune des poseurs de pare-brise - on les imagina armés de petits marteaux s’adonnant rageusement à ce vilain saccage sans jamais en voir un seul - on se rabattit sur un bouc émissaire bateau à l’époque : la bombe H, dont les essais venaient d’avoir lieu dans le Pacifique..
La croyance populaire mit tout d’abord cela sur le compte d’une augmentation de la radioactivité dans l’atmosphère suite aux explosions atomiques. Devant les démentis officiels, on incrimina ensuite une éventuelle pluie radioactive, ce que sembla confirmer quelques mesures faites sur la poussière recueillie sur le toit sale d’automobiles dont les vitres avaient été détériorées. Les spécialistes du centre atomique d’Argonne rejetèrent cette hypothèse, arguant que les panneaux vitrés des serres, où des plantes sont cultivées sous gaz carbonique radioactif, auraient dû, depuis longtemps, être attaqués. Dont acte.
A cause de cet argument de poids, on se tourna vers la possibilité selon laquelle la bombe aurait émis une substance « anti-verre » capable de transformer celui-ci en rien… c’est à dire en trou. En d’autres termes moins osés, quelque chose tombait du ciel qui perforait ainsi les pare-brise, rares vitres non disposées verticalement. La petite vérole du verre Les esprits s’échauffèrent activement autour de cette éventualité. Surtout qu’à Portland, en Oregon, il y eut une pluie de petites boules de 1 mm de diamètre, brillantes, couleur du plomb, ressemblant à de la cendre, et qui adhéraient aux pare-brise précisément. C’étaient elles, à n’en pas douter, qui rongeaient le verre. Présentant au microscope une structure cellulaire, on parla de micro-créatures extraterrestres mangeuses de verre ! Cette théorie fit long feu tout comme celle d’une maladie du verre - petite vérole, cancer.
L’American Automobile Association avança que les dommages étaient dus à une réaction chimique entre le verre et quelque produit véhiculé par l’atmosphère. Le Professeur Henry J. Gomberg, de l’Université du Michigan, fit remarquer que seul l’acide fluorhydrique -l’acide le plus puissant qui existe - pouvait entamer le verre. Qu’à cela ne tienne ! Celui-ci, fabriqué par l’explosion de la bombe, devait avoir été apporté par les vents d’Est. Bonjour les dégâts pour les poumons des citoyens dont on ne s’inquiéta pas outre mesure. Et puis quoi encore ? L’imagination aidant - et la psychose s’installant - d’autres théories virent le jour depuis les défauts de fabrication du matériau vitrifiable, les anodines vibrations du sol, les changements de température faisant travailler le verre contraint, l’accumulation d’électricité statique avec la friction de l’air, les résidus de combustion des carburants des avions, les produits de nettoyage des stations-service, jusqu’aux œufs de puces des sables incorporés dans la silice utilisée pour la fabrication du verre et qui soudain éclosent (sic), en passant par le poltergeist...
En fait, les opinions se partagèrent en deux camps : ceux qui pensèrent que les diverses explications n’étaient pas satisfaisantes et ceux pour lesquels il n’y avait pas d’explication puisque tout, selon eux, avait été « exagéré » par les médias et n’était que les préjudices normaux imputables à une circulation routière banale subitement tournée en mystères dans la tête des conducteurs par une publicité hystérique dans un climat de tension et d’anxiété. N’empêche que le New York Times du 24 avril 1921 avait déjà mentionné un cas semblable quand 2 500 pare-brise furent brisés à Londres sans cause apparente cette année-là. Et en août 1961, à Springfield, Massachusetts, pour la deuxième fois de l’année, une centaine d’habitants découvrirent au petit matin une des vitres de leur automobile toute fendillée. Il ne s’agissait pas des pare-brise mais de la lunette arrière...
Une telle sélectivité et des déprédations qui ont du mal à s’expliquer par un processus hallucinatoire, n’est-ce pas ?
Note : 1) Dans le livre de J. G. Dohmen, , « A identifier et Le cas Adamski », publié en 1972, on peut lire sur le sujet des cas similaires survenus en France en 1954. « Or, la vague de 1954 (d’ovnis) atteint une ampleur exceptionnelle et on a l’impression que, passé un certain seuil d’intensité, une vague d’OVNIs peut s’accompagner d’autres phénomènes déroutants et mystérieux n’ayant à première vue aucun rapport avec elle. Si l’hypothèse est exacte, alors c’est une toute autre vision des « soucoupes » qui se dessine car les phénomènes paranormaux mystérieux incriminés ne seraient alors que des conséquences de l’activité soucoupique. « Mais avant d’aller plus loin dans les hypothèses, voyons de plus près de quoi il s’agit. « Cancer du verre »
« Le premier exemple de ces événements bizarres est ce qu’on appelait alors le « cancer du verre ». « En cette année 1954, en effet, il y eut une surprenante et inexplicable vague de bris de verres, sans causes apparentes. On surnommait fréquemment aussi le phénomène « cancer des pare-brise » mais il n’y avait pas que les pare-brise qui explosaient spontanément, puisque aussi des glaces latérales, verres à boire, bouteilles, compo¬tiers, etc. étaient concernés. « Lors de l’étude sur le rayonnement localisé, un cas avait été étudié faisant allusion à une « chaleur localisée » (a).
« Dans cette relation, il est fait mention de l’explosion d’un pare-brise. On serait tenté, à la lecture de cet article, de faire le rapprochement entre la « soucoupe » et le bris du pare-brise. « Le fait est que ces bris inexplicables de verre sont fré¬quemment associés à un phénomène lumineux justement. Donc un rayonnement électromagnétique indiscutable. Voici un cas typique (b) : « Châteauneuf éclatement d’un pare-brise » « Vendredi, vers midi, M. Justin Creux, épicier à Viel¬manay, se rendait à Châteauneuf à bord de sa voiture de livraison. Il ne faisait pas une grande chaleur, la route était ombragée, pas de sable sur la chaussée et pas d’autres voitures en vue.
« En arrivant à quelques centaines de mètres du bourg, au lieu dit Le Château, M. Creux, roulant à une cinquantaine de kilomètres à l’heure, fut soudain ébloui par une vive lueur et en même temps se produisait une forte détonation. Aveuglé par la vive clarté et par une pluie de parcelles de verre, il parvint cependant à arrêter sa voiture avant qu’elle n’aille se jeter contre un arbre. « M. Creux s’en tirait sans trop de mal : il n’avait qu’un petit éclat de verre dans l’œil gauche. Quant au pare-brise, il ne restait que quelques parcelles de verre tout autour. « L’avant de la voiture était jonché d’une couche de petits morceaux semblables à du gros sable transparent. « Le phénomène lumineux est-il cause ou conséquence de l’éclatement du pare-brise ? « Voici un autre cas (c) qui tendrait à montrer que décidément il y aurait une relation entre « soucoupe » et « cancer du verre ». « Une boule lumineuse dans un jardin à Saint-Souples. » « Un habitant de Saint-Souples, dans le Cambrésis, a reçu une curieuse visite dans la nuit de dimanche à lundi. « Réveillé par un claquement sec, le témoin dit : « J’ai cru tout d’abord à un incendie de l’immeuble en face, mais il s’agissait en fait d’une boule lumineuse qui montait vers le ciel. Une vitre de porte fut soufflée et le verre réduit en centaines de très petits morceaux était dispersé dans la pièce attenante. A l’endroit d’où venait de repartir l’engin, les légumes du jardin étaient tous couchés dans le même sens ; quelques-uns étaient déracinés, juste à l’endroit où s’était posée la boule. A part la vitre brisée que l’on peut s’expliquer par le déplacement d’air de l’appareil, aucun autre dégât n’a été fait à la propriété. » « Qu’en penser ? Déplacement d’air, comme semble le suggérer l’auteur de l’article ? A l’encontre de cette thèse, il faut préciser que les témoins du « cancer du verre » ne décrivent pratiquement jamais d’effet de souffle ou de déplacement d’air quelconque. « La boule lumineuse serait-elle alors la cause du phénomène ? Mais à cela il faut objecter que maintes autres manifestations de bris de verre sont survenues sans aucune apparition parallèle visuelle ou lumineuse. « Par exemple (d) : « Chaulgnes : pare-brisite » « La maladie du verre s’est-elle manifestée en notre commune ? Il y a tout lieu de le croire. « Le vendredi 25 à 16 heures, à l’auberge tenue par M. Frère, deux clients étaient tranquillement attablés discutant de choses et d’autres avec le patron de l’auberge, lorsque brusquement une détonation assez violente retentit et un verre dit incassable se réduisit en miettes sans cause apparente. Surpris, l’un des clients fit un geste assez brusque qui eut pour résultat de renverser les autres ustensiles qui se brisèrent en éclats bien ordinaires alors que le premier verre était entièrement réduit en poussière. « Qui pourrait donner l’explication de ce phénomène bizarre ? « Un cas typique entre autres. Point de phénomène lumineux noté mais par contre un phénomène auditif : une détonation. « Le « cancer du verre » peut prendre parfois une forme surprenante (e).
« Est-ce un cas de cancer du pare-brise ? » « Dole. Un cas de cancer du pare-brise a été constaté dernièrement à Dole. Le titulaire d’une Panhard 54 a eu la surprise de trouver, un matin, dans son garage le pare-brise de sa voiture avec, au milieu, un rond de 10 centimètres de diamètre, tracé avec une régularité parfaite.
« On pense qu’il s’agit là d’un cas de pare-brisite et l’ensemble a été envoyé à l’usine pour étude ».
Références :
a) Selon L’Indépendant du Louhannais (Louhans) du 3 juillet 1954.
b) Tiré du Régional de Cosne (Cosne, Nièvre) daté du 3 juillet 1954, pages 2 et 4.
c) Tiré de Nord-Matin de Lille du mercredi 6 octobre 1954, page 10.
d) Selon l’hebdomadaire local de La Charité Le Charitois daté du 3 juillet 1954, page 3.
e) Selon le quotidien Le Comtois de Besançon du 30 juillet 1954 en page 2.
Publié (hors note) in COURRIER DE SAÔNE & LOIRE DIMANCHE du 18 octobre 1987.
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