Vivons-nous
dans un univers à dimensions multiples ?
La quatrième
dimension est-elle une réalité ? Et la cinquième... ainsi de suite
?... Il semble qu’en ce domaine, la science entérine la fiction et
la devance largement.
A la séance de
lancement d’un concours de nouvelles de science-fiction de
l’Atelier de Création littéraire de Bourgogne, il y a un peu plus
de 2 ans, je m’étais retrouvé, à la tribune, à droite de Pierre
Barbet, auteur représentant l’école française du genre.
A cette occasion,
j’ai dû constater, notamment au sujet de la théorie des univers
parallèles, que l’imagination de ces champions avérés en la
discipline était aujourd’hui prise de vitesse par les progrès de
la science, du moins en théorie si ce n’est en pratique.
La science-fiction à la remorque.
Pourtant, ce sont
bien ces écrivains de l’imaginaire qui ont exploité à satiété
l’idée d’une quatrième dimension, voire d’une cinquième, et
les noms qui me viennent à l’esprit, sans aucune idée de
classement, sont Barjavel, Guieu, Klein, Curval, Caroff,
Richard-Bessière mais aussi Maurice Renard, Marcel Thiry, Léon Groc
et Raoul Bigot.
Or, tous me
paraissent aujourd’hui complètement dépassés lorsque, par
exemple, Jacques Vallée - alias Jérôme Sériel comme auteur de SF
et aussi grand scientifique - annonce, le plus sérieusement du
monde, que notre univers pourrait bien avoir 136 dimensions, se
fondant certainement sur les avancées récentes de la physique
théorique.
Le concept que notre
monde compterait des dimensions supplémentaires cachées est
relativement récent, bien que figurant en filigrane dans certains
textes orientaux antiques. Le britannique Henry More (1614-1687) en
est reconnu comme l’inventeur au 17ème siècle, lorsqu’il
conféra aux esprits des morts une qualité occulte, « épaisseur
de la substance » qu’il appela « spissitude ». Sa
pensée profonde influença Newton lui-même.
Il est vrai que
l’hypothèse extra-dimensionnelle demande un effort d’abstraction
certain que je vais tenter de vous épargner, dans la mesure du
possible évidemment.
Notre monde a déjà
quatre dimensions
Selon notre
expérience de tous les jours, combien la nature semble-t-elle avoir
de dimensions ? Je dis bien « semble ». Trois ? Quatre ?
Un moyen simple d’obtenir la réponse est de compter les degrés de
liberté dont nous jouissons nous-mêmes.
Un ami vous téléphone
pour convenir d’un rendez-vous. Quels renseignements doit-il vous
donner pour que vous puissiez vous rencontrer ? Premièrement,
l’endroit choisi. Pointez sur le plan de la ville la mairie, par
exemple : H 13. Selon le quadrillage de votre guide, ces deux
coordonnées vous indiquent OU vous rendre. Mais est-ce suffisant
pour réaliser la jonction désirée ? Non. Car si vous le cherchez
au rez-de-chaussée et qu’il vous attende à l’étage, le contact
peut être problématique. Ainsi, spatialement, il vous faut fixer 3
coordonnées, selon les 3 degrés de liberté de notre espace commun
: latitude, longitude, altitude. Un objet peut se mouvoir à
droite/gauche, au nord/sud, en haut/bas. Notre monde a bien trois
dimensions.
A partir de là, le
tête-à-tête est-il inéluctable ? Pas sûr. Il manque une donnée
essentielle: QUAND ? Votre ami vient-il aujourd’hui ou demain ?
C’est fondamental pour ne pas vous poser un lapin. Ce degré de
liberté de plus amène, derechef, une dimension supplémentaire.
Faites le compte : pour un événement à un endroit donné, à un
moment donné, trois dimensions d’espace + une de temps; ça fait
quatre.
La quatrième
dimension, c’est le temps.
Le temps a pris figure, définitivement,
de 4ème dimension depuis que Einstein, avec la révolution
relativiste, lui a dévolu une part entière dans le continuum
espace/temps.
En termes
scientifiques, le sentiment de l’écoulement du temps, du passé
vers le futur en passant par le présent, de l’avant vers l’après
via le maintenant, n’est qu’une impression subjective, une
illusion de nos sens comme l’enseignent depuis longtemps certaines
doctrines mystiques. Nous sommes chacun un élément d’un
univers-bloc à quatre dimensions indiscernables en théorie les unes
des autres et, à ce titre, nous en constituons « une forme
permanente et immuable ».
Je sais qu’il y a
là une subtilité difficile à saisir - je vous avais prévenu - et
ce n’est pas dans la place qui m’est impartie ici que je peux
espérer éclairer ceux qui, hélas, ont décroché.
Si la théorie de
l’espace-temps retient votre attention, je vous recommande le livre
de Rudy Rucker « La quatrième dimension », publié au
Seuil en 1985. Il consacre trente pages à ce sujet passionnant et
dans un style très accessible.
En revanche, il
escamote presque totalement les extraordinaires hypothèses selon
lesquelles il y aurait, non seulement une, mais deux dimensions
temporelles. C’est l’écrivain anglais J.W. Dunne qui, dès 1927,
suggéra cette possibilité fascinante et celle-ci a été reprise en
1965 par le philosophe et mathématicien H.A.C. Dobbs. De cette
manière pourrait-on expliquer les prémonitions, les coïncidences
en fournissant une base rationnelle à la synchronicité.
Mais plongeons
maintenant dans les autres dimensions spatiales qui peuvent exister à
notre insu tout autour de nous. Et pour rendre cela compréhensible,
je vais devoir recourir à une méthode qui a fait ses preuves :
l’analogie.
Terreplate,
terreligne et hyperespace
Moins connu que
Einstein, mais peut-être tout aussi génial, est Adwin A. Abbott, un
théologien anglais du siècle dernier qui, en marge d’une œuvre
classique, publia en 1884 un opuscule devenu la Bible pour tous ceux
voulant développer momentanément un « sens » de pensée
multidimensionnelle. Son titre: Flatland : le Pays Plat.
Il ne s’agit pas de
celui de Jacques Brel mais d’un monde fictif à deux dimensions -
longueur et largeur - seulement, habité par des créatures
extra-plates puisque totalement dénuées d’épaisseur !
A travers la satyre
sociale de l’époque victorienne - échelle hiérarchique fonction
du nombre de côté de ces figures plane où la femme se présente
comme un « charmant » segment (le sexe maigre), les
militaires et les enseignants en des triangles très pointus et la
classe supérieure en polygones, le cercle étant le Roi - se dessine
une théorie mathématique extrêmement ingénieuse. A l’aide
d’analogies simples, Abbott nous amène à comprendre que nous
pouvons très bien n’être, sans le savoir, que la « surface »
tridimensionnelle d’une réalité quadridimensionnelle. Comme un
Carré - le héros du Plat Pays - est l’intersection d’un plan
avec un cube ou un segment celle d’un carré avec le Pays de la
Ligne, à une seule dimension.
Pour imaginer cet
espace à quatre dimensions (hyperespace), il suffit d’ajouter un
quatrième degré de liberté correspondant à l’alternative
ana/kata (équivalent quadrimensionnel de haut/bas) et de se
représenter un hypercube à 16 coins et 24 faces, une hypersphère
constituée d’une série de sphères devenant de plus en plus
petites à mesure que l’on s’éloigne dans la direction ana ou
kata etc. Une aubaine pour l’inspiration vagabonde.
Par le biais du jeu
subtil de l’esprit, on entre, sans s’en rendre compte, dans le
champ abstrus des géométries « exotiques ».
Géométries
« différentes »
Et ceci, sans avoir à
s’emmêler les neurones et risquer l’attaque cérébrale en
passant par les formules compliquées de Riemann, Lobatchewski,
Bolyai et Cie. Pourtant, le résultat est tout aussi étonnant quand,
dans l’espace courbe de Riemann, la somme des angles d’un
triangle est supérieure à 180 degrés et lorsqu’un coin
d’hypercube de Abbott est constitué de quatre plans se coupant
tous, les uns et les autres, à angle droit !
Seule la pédagogie
change. Abbott a choisi l’analogie avec un habitant de Terreplate
« évangélisé » par une sphère de dimension
supérieure. Et ce Carré rampant m’est autrement sympathique que
l’analyse non orthogonale. Chacun ses goûts, n’est-ce pas !
Croyez bien qu’il
n’est pas dans mes intentions d’être irrévérencieux envers ces
grands mathématiciens inspirés, créateurs des géométries dites
non euclidiennes. Leurs travaux fondés sur des données
hypothétiques et des nombres abstraits, après avoir été
considérés comme pures spéculations intellectuelles, se révèlent
aujourd’hui des outils indispensables à notre compréhension des
univers parallèles.
Car, depuis peu, on
s’est aperçu que les lois qui régissent l’univers ne sont pas
les mêmes que celles qui conditionnent notre planète. Et, en
particulier, au niveau microscopique, il semble bien que la physique
des particules soit vraiment multidimensionnelle.
Supercordes et
dimensions multiples
Selon les
spécialistes, en effet, notre réalité subatomique aurait bien des
dimensions spatiales supplémentaires. Et pas moins de six aux
dernières nouvelles! C’est ce que sous-tend la fameuse théorie
récente du « superstring », qui n’a rien à voir, je
le déplore Messieurs, avec un affriolant dessous féminin en
dentelles, mais constitue le nec plus ultra actuel en terme de modèle
théorique constitutif de la matière. Je ne vais pas entrer dans le
détail, rassurez-vous. Sachez cependant que si cela est vrai, y
compris nous et les êtres invisibles, résultons du mouvement de
petites cordes qui se meuvent et se tortillent dans un espace à 9
dimensions: trois étant celles que nous connaissons et les 6 autres
s’étant recroquevillées sur elles-mêmes, « compactées »
mais réelles.
Quel auteur de
science-fiction aurait osé un tel délire ?
Et on n’en est
peut-être qu’au début. Déjà certains avancent un nombre de
dimensions compactées de 26 dans les supercordes et même de 950 !
Là encore les mathématiciens ont pris les devants. Hilbert n’a-t-il
pas développé une théorie d’espace à une infinité de
dimensions ?
Quelles conséquences
cela a pour nous me direz-vous ? Eh bien ces dimensions cachées
ouvrent les portes des univers multiples, parallèles, coexistant à
l’infini avec le nôtre. Dieu vivant, qui sait, dans le dernier de
ceux-ci. Chacun de nous serait l’ombre 3-D de quelqu’une d’une
dimension supérieure et ainsi de suite jusqu’à l’infini. Nous
serions tous l’ombre de Dieu en quelque sorte ou alors des
créations objectivées de ses rêves.
Comme l’écrivait
P.D. Ouspensky déjà en 1908: « Si la quatrième dimension
existe alors que nous n’en possédons que trois, cela signifie que
nous n’avons pas d’existence réelle et que nous n’existons que
dans l’imagination de quelqu’un ».
Qu’en pensez-vous,
mes biens chers Frères ?
Publié dans Le
COURRIER DE SAÔNE & LOIRE DIMANCHE
du 18 mars 1988.